COMMENTAIRE

Fête Nationale
Trousse de survie patriotique

Cette unanimité commençait à déranger. Après avoir été beaucoup vilipendée, expo.02 était devenue l’objet d’une vénération un peu suspecte. Car une exposition nationale s’articule au cœur des tensions qui nourrissent l’identité d’un pays. Par nature, elle dérange. A chaque fois, en 1914, 1939 ou 1964, l’image renvoyée par le miroir fut l’objet de controverses. Expo.02, au contraire, respire dans une bulle consensuelle, à l’image de ses arteplages, icônes épurées et rassurantes. Tout se passe comme si l’enveloppe esthétisante avait paralysé le débat. La prêtresse Nelly Wenger avait pourtant annoncé, avec un beau talent, que l’expo serait celle de la recherche identitaire, du questionnement confédéral. Au lieu d’être l’électrode dans la bouilloire nationale, expo.02 tendait à devenir un aimable but de course d’école.
Arrivent la fête nationale et son «août02». Confié à deux artistes, piliers de la culture alternative, le spectacle suscite la polémique avant même sa représentation. Soucieux d’évoquer la «suissitude» sans tomber dans l’autocélébration traditionnelle, Schwarz et Bärfuss – ce sont leurs noms – veulent mettre en scène un «patriotisme critique». Et ils ne vont pas avec le dos de la cuillère (du couteau suisse!). Les artistes proscrivent tout drapeau de leur représentation, même celui qui devait orner l’estrade du conseiller fédéral Schmid, auquel est revenue la rude tâche de semer la bonne parole patriotique. «Nous en avons par-dessus la tête des territoires, des drapeaux et des hymnes! Brûlez votre passeport!» Depuis l’exposition de Séville, en 1992, on pensait périmés les slogans du style «La Suisse n’existe pas». Ces attitudes de «négationisme patriotique» ont eu leur heure de gloire, parfois efficaces dans la remise en cause de certitudes trop assises. Mais remettre aujourd’hui la compresse antisuisse tient d’un conformisme ridicule. Les artistes manquent-ils à ce point d’idées pour user jusqu’à la corde la provocation puérile? N’existe-t-il pas une forme plus intelligente pour disserter sur l’identité nationale?
Que d’énergie gaspillée à créer artificiellement des motifs d’affrontements entre les générations! Quelle tristesse de voir la Suisse «officielle» tourner en rond, tiraillée entre les provocations pseudo-artistiques et la veulerie craintive de la classe politique! Voilà du bon grain pour le moulin de l’UDC, qui s’est empressée d’offrir à «son» conseiller fédéral une trousse de survie patriotique, comprenant drapeau, couteau et autres emblèmes frappés de la croix blanche! Le Premier Août 2002 méritait mieux que cette mascarade.

Patrice Borcard / 30 juillet 2002

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