INTERVIEW
Les 100 Jours d’Isabelle Chassot

«Assumer jusqu’au bout»

«Il a fallu se jeter à l’eau. Et l’eau était assez froide!» Aux affaires depuis bientôt 100 jours, Isabelle Chassot a fait l’économie d’un round d’observation. Retour sur une entrée en matière tonitruante au Conseil d’Etat.


«Si les enseignants devaient descendre dans la rue,
ce serait un constat d’échec»

Le 27 décembre devait être une journée d’introduction. Ce fut le baptême du feu: «Je me suis vraiment sentie responsable ce jour-là.» Isabelle Chassot apprend en ce dernier jeudi de l’année le décès d’un chef de service puis reçoit l’arrêt du Tribunal fédéral sur la question des langues. «Il a fallu faire un communiqué de presse.» Les semaines suivantes défilent à toute allure à la Direction de l’instruction publique et des affaires culturelles (DIP): démission du directeur de la Bibliothèque cantonale (BCU), effervescence au Conservatoire, détournement de fonds d’un chef de service…
La conseillère d’Etat a fêté jeudi son 37e anniversaire. Une journée comme une autre, ponctuée par le bilan de ces trois mois de fonction et deux actes officiels: la remise du cadeau à une centenaire le matin et un match de foot à Ursy le soir. Car Isabelle Chassot est aussi ministre des sports…

– Candidate, vous avez déclaré: «J’aime prendre des décisions et je veux les assumer jusqu’au bout.» Est-ce toujours le cas?
Oui, ça l’est d’autant plus que c’est le propre de la fonction. On attend que vous assumiez et communiquiez les décisions même quand elles ne font pas plaisir aux gens qui les reçoivent. Ce n’est pas la partie la plus agréable de la fonction, mais c’est aussi pour cela que j’ai été élue. Jusqu’à aujourd’hui, cela ne m’a pas gênée, parce que chaque décision a été prise une fois tous les critères soupesés. Les plus difficiles sont celles qui touchent personnellement un collaborateur.

– Comment évaluez-vous l’intérêt que vous portent la population et les médias?
J’ai senti un changement. D’abord une certaine attente – on ne me connaissait pas bien – et puis il y a eu les dossiers complexes. J’ai eu l’impression d’une forme de bienveillance de la population et d’une dose de curiosité qui concerne la manière dont je fais les choses et perçois la différence avec Berne.

– Hériter de la DIP, avec du recul, n’était-ce pas un cadeau empoisonné?
Ce n’est pas un cadeau empoisonné. C’est une direction vaste, avec beaucoup de collaborateurs. J’étais consciente qu’une partie des problèmes serait de l’ordre du personnel et que ça me prendrait du temps. Mais je ne pensais pas que j’aurais à le faire de manière aussi rapide. J’imaginais avoir une phase d’introduction un peu plus longue. J’ai vécu ces trois mois comme une période astreignante, je ne le cache pas. Mais les dossiers étaient là et on ne pouvait pas attendre. Il a fallu se jeter à l’eau. Et l’eau était assez froide.

– La DIP est un lieu de pouvoir important, la moitié des collaborateurs de l’Etat, le contrôle sur l’école. C’est un bastion conservateur et PDC depuis 1856. Sentez-vous cet héritage?
Je n’aime pas le terme de pouvoir. C’est plutôt un lieu où l’on peut faire bouger les choses après avoir dialogué avec les personnes concernées. Plus qu’un héritage, je me sens une responsabilité à l’égard de l’éducation et de la formation dans la volonté de maintenir les acquis et la qualité de l’enseignement. L’enquête PISA, qui n’est qu’un indicateur, montre que mes prédécesseurs ont réussi leur mission. C’est lourd à porter, parce que ce sera ma responsabilité si on constate dans cinq ans que le niveau a baissé.

– Vous avez en main des dossiers brûlants: il y a eu le passé de la BCU, il y a encore l’avenir du Conservatoire…
Je dois trouver des solutions et dessiner un avenir pour cette institution qui connaît des difficultés. Nous travaillons sur plusieurs pistes. C’est une école de musique pour plus de 5000 élèves et près de 200 professeurs, avec un pilier professionnel d’une centaine d’élèves. Cette partie pourrait s’inscrire dans une Haute Ecole de musique. A cela s’ajoutent des questions de réorganisation au niveau administratif. L’école a grandi au cours des vingt dernières années, les structures n’ont pas suivi. Une réunion plénière se tiendra au début avril avec l’ensemble des collaborateurs pour discuter de l’avenir de l’institution.

– Autre difficulté, la pétition des étudiants de l’Université contre la hausse des taxes d’inscription.
Cette augmentation a été décidée dans le cadre des discussions budgétaires du Conseil d’Etat, en décembre dernier. C’était avant mon arrivée, mais je soutiens cette décision. Il n’y a plus eu de hausse depuis 1997, malgré les difficultés financières. Il a donc paru possible d’augmenter la taxe de 50 francs par semestre, surtout que Fribourg est en dessous de la moyenne natio-nale. Les étudiants doivent comprendre la difficulté du Conseil d’Etat de boucler son budget. Sans hausse de la taxe, il aurait fallu tailler dans certaines dépenses. Le problème, c’est que cette augmentation n’a pas été communiquée aux étudiants, semble-t-il. Je comprends leur étonnement.

– L’avenir de l’Université de Fribourg est-il toujours dans le réseau BENEFRI?
On a annoncé beaucoup trop vite la mort de BENEFRI. Ce sont les recteurs qui se sont exprimés. Or, les responsables politiques de Neuchâtel, Berne et Fribourg voient en BENEFRI un atout indispensable. Nous avons été pionniers et la Confédération demande maintenant aux autres de nous suivre. Mais elle découpe une carte universitaire qui ne tient que si on la regarde depuis assez haut. Dès qu’on entre dans le terrain, ça ne colle plus. Un réseau Bâle-Berne-Fribourg ne tiendrait pas compte de la spécificité de Fribourg – le bilinguisme – et de la nécessité pour nous d’avoir un lien avec une autre université francophone. Il y a aussi une question de distance. Nos étudiants n’iront pas à Bâle. Je crois donc à l’avenir de BENEFRI.

Pas de matu en douze ans
– Les revendications salariales des enseignants (+ 5% avant 2006) seront difficiles à satis-faire. A quand des manifes-tations dans la rue comme récemment dans la capitale fédérale?
Ces revendications salariales seront en effet difficiles à satisfaire. Mais il n’y a pas que cela. Les autres questions ont trait au métier d’enseignant, à ses missions, aux conditions de travail devenues difficiles, au risque de pénurie en particulier dans la partie alémanique du canton. Il y a aussi la formation continue pour les instituteurs en lien avec l’ouverture de la Haute Ecole pédagogique. Nous devons y apporter des réponses, j’espère dans le dialogue.
Si les enseignants devaient descendre dans la rue, ce serait un constat d’échec. Parce que nous n’aurions rien résolu et nous nous serions tous mis dans une situation beaucoup plus difficile.

– Vos priorités, une deuxième année d’école enfantine et l’apprentissage amélioré des langues, ont du plomb dans l’aile, non?
La première oui. Je crois que le canton de Fribourg ne connaîtra pas de deuxième année d’école enfantine au cours de cette législature. Ça m’attriste, mais je dois en prendre acte: le Grand Conseil n’a pas voulu que j’examine cette question. Pour l’apprentissage des langues au contraire, qui est une priorité du Conseil d’Etat, nous pouvons aller de l’avant. Cela comprend d’abord la langue maternelle: quelle place lui laisse-t-on, par exemple, dans la grille-horaire du CO? Ensuite la langue partenaire: nous avons perdu une votation populaire et nous ne reviendrons pas avec le même projet, mais nous pouvons améliorer l’apprentissage en commençant plus tôt, par exemple. Et puis il y a l’anglais, la 3e langue, qui sera enseigné dès la première année du CO dans toutes les filières, et plus seulement en prégymnasiale. Reste à savoir avec quelle dotation horaire.
– Qu’en est-il de l’option retenue par le Conseil d’Etat de ramener la durée de la maturité de 13 à 12 ans?
On ne m’a pas encore dit où je devais enlever une année. J’attends un rapport à ce sujet, mais ce n’est pas une priorité de législature. Je reste persuadée qu’il y a un temps pour l’apprentissage et qu’on ne peut pas réduire la scolarité obligatoire d’une année. Prenez la maturité: en quatre ans et vu les exigences, il ne me paraît pas y avoir une année de trop. La fonction même de l’école est de former des généralistes, puis les hautes écoles s’occupent de spécialiser les jeunes. La réduction d’une année se ferait au détriment de notre rôle de former des adultes responsables. On pourrait plus facilement réévaluer le moment de l’entrée à l’école. Nous avons six mois de retard sur nos voisins. L’examen d’une deuxième année enfantine aurait permis d’étudier cet aspect.
– Et où en est la réforme Odys…CO? Est-elle enterrée?
La grande réforme Odys…CO, nous n’en parlons plus. En revanche, il y aura des adaptations au cycle d’orientation: la grille-horaire, l’examen de passage, l’introduction des nouvelles techno-logies de l’information, la problématique des élèves en difficulté. De toute façon, une réforme doit se faire avec les enseignants et on ne la mènera que si nous avons les moyens financiers. Je crois que si Fribourg ne connaît pas les débats virulents qui font rage ailleurs, c’est que nous n’avons pas réformé de manière radicale le système. Nous l’avons adapté aux réalités fribourgeoises en tenant compte du temps particulier de l’école.

L’Eglise et le parti
– Toute votre carrière, d’avocate et de politicienne, est marquée du sceau PDC. Pas trop dur d’être la conseillère d’Etat de tout le canton?
[Rires] Je n’éprouve aucune difficulté, car je ne vais pas chercher mes ordres dans mon parti. Mes attaches avec le PDC me procurent un cadre politique important qui nourrit le fond de ma réflexion. Les membres du Conseil d’Etat ne sont d’ailleurs pas des eunuques politiques. Je me suis rendu compte en plus que l’étiquette partisane y joue un rôle second. Nous nous parlons en premier lieu comme responsables d’une direction. Et l’objectif consiste à trouver les bonnes solutions pour pouvoir avancer ensemble.

– Vous êtes membre du groupe «Evangile et Société», est-ce le seul engagement de ce type?
Avant d’entrer en politique, j’étais membre de l’Assemblée ecclésiastique catholique provisoire. Je préside aujourd’hui l’Association des amis de la communauté de Saint-Martin. C’est une communauté de prêtres installée en France, reconnue par Rome, qui met un poids prépondérant sur la formation de ses jeunes, en philosophie, en éthique, en droit canon… Ils aiment une certaine tradition, mais n’ont rien d’intégristes. Si j’ai accepté la présidence de cette association, c’est par amitié envers un des prêtres, qui est un ami de jeunesse et qui s’est engagé dans cette communauté.

Isabelle Chassot et…
…Zoug-Nanterre
Ce drame m’inspire une grande tristesse. On croit toujours que ça n’arrive qu’aux autres. Zoug a montré le contraire. Je connaissais quelqu’un qui a péri dans la tuerie. On croit aussi à tort que ça n’arrive qu’une fois. A Nanterre encore, des personnes ont payé de leur vie un engagement pour la démocratie. Et quand je pense à l’auteur, je me dis: «Quelle somme de désespoir accumulé pour en arriver là!»

…expo.02
Je me réjouis de la journée cantonale à Morat: le programme en étonnera plus d’un et les Fribourgeois se reconnaîtront dans l’esprit d’ouverture et de solidarité. Je les invite à visiter le monolithe et son panorama de la bataille de Morat: c’est extraordinaire. Je suis sûre que l’arteplage de Morat connaîtra un grand succès. Nous devons maintenant nous laisser prendre par la fièvre de l’expo.

…Pâques
Un moment important dans la vie des chrétiens. Un moment de retour sur soi-même, sur l’élément qui fonde sa foi. La Semaine sainte, c’est pour moi une montée vers Pâques, une réflexion sur ce que nous sommes et ce que nous vivons.

…Gottéron
[Gros éclat de rire] C’est l’équipe sportive que j’aime. C’est avant tout un esprit, des moments de détente entre amis et d’échange avec mes neveux que j’emmène au
match.

Sébastien Julan / 2 avril 2002