Coup de tonnerre
dans le paysage touristique fribourgeois: le
21 mars dernier, les remontées mécaniques du Schwyberg,
au Lac-Noir, déposaient leur bilan. Si la mauvaise situation
financière de lentreprise était connue depuis lautomne
dernier décision avait dailleurs été
prise de ne pas exploiter les installations cet hiver personne
nimaginait cependant une telle issue. Il aura suffi quun
seul créancier exige dêtre remboursé sur-le-champ
pour terrasser une société vieille de près de trente
ans.
Or, la fermeture du Schwyberg nest pas une exception: en octobre,
le Conseil communal de Château-dx avait déjà
décidé de fermer le site des Monts-Chevreuils. Les cas
singinois et damounais constituent-ils donc les premiers noms dune
liste de remontées mécaniques appelées à
disparaître? Il y a de quoi sinterroger, si lon se
réfère au manque chronique de liquidités dont font
preuve ces sociétés. Au sortir dun deuxième
hiver catastrophique (lire lencadré), la plupart dentre
elles apparaissent en effet financièrement exsangues. Capa-cités
dautofinancement quasi nulles, possibilités demprunts
très réduites, chiffres daffaires en forte baisse
Autant dindicateurs qui ont poussé lAssociation fribourgeoise
des entreprises de remontées mécaniques (AFERM) à
tirer la sonnette dalarme.
«Une fuite
en avant»
«Nous étions déjà préoccupés
après la saison 2000-2001», souligne le Glânois Jacques
Baudois, président de lAFERM. «Or, cet hiver a été
carrément catastrophique! Surtout le mois de février,
qui na permis pratiquement aucune exploitation.» Réunis
le 8 mars à loccasion dune «journée
de réflexion», les onze membres de lassociation ont
donc décidé «non sans avoir beaucoup hésité»
dinterpeller le Conseil dEtat. But: obtenir une aide
exceptionnelle, qui na pas encore été chiffrée.
Une décision acceptée à lunanimité,
mais qui na pas franchement convaincu tous les partenaires de
lAFERM. «Que ferons-nous lan prochain en cas de nouvel
hiver catastrophique», sinterroge lun deux,
estimant quil aurait été plus approprié «de
tenir au moins encore une saison avant den arriver là».
Dautres craignent pour leurs futurs investissements: plusieurs
projets étant en gestation dans le canton, ils trouvent le moment
mal venu de demander un soutien à lexploitation, alors
quil faudra prochainement négocier le renouvellement de
certaines installations existantes et le financement de nouvelles infrastructures.
Dans le milieu politique, cette demande daide exceptionnelle va
à coup sûr faire grincer des dents. Notamment celles des
opposants à loctroi, en 1996, dune enveloppe de 25
millions de francs pour la construction du funiculaire de Moléson
et de la télécabine de Charmey. A lépoque,
les débats sétaient déjà focalisés
sur les dangers inhérents au manque chronique de neige dans les
stations de moyenne altitude. Et sils avaient finalement accepté
le crédit, les députés sétaient par
contre promis de ne jamais se mêler de questions dexploitation.
Philosophie à
changer
Quant à Michel Pittet, nanti du courrier de lAFERM depuis
jeudi, il préfère réserver son commentaire. Mais
le directeur de lEconomie rappelle tout de même que «lEtat
a déjà mis la main au porte-monnaie en 1996 et quil
sest toujours opposé à intervenir dans lexploitation
dentreprises»
Surtout, le conseiller dEtat dit
redouter une «fuite en avant». «Car qui nous dit que
la situation des deux derniers hivers est si exceptionnelle?»
Dans lattente du verdict gouvernemental, Jacques Baudois a dores
et déjà enjoint ses membres de changer de philosophie.
«Encore un ou deux hivers comme celui-ci et cela pourrait être
fatal à certaines sociétés», prévient-il.
Doù linvitation faite aux responsables des entreprises
de remontées mécaniques de miser davantage sur la saison
estivale, à lexemple de la station de Moléson, qui
réalise déjà près des deux tiers de son
chiffre daffaires durant lété. «Encaisser
au moins la moitié de ses rentrées annuelles durant cette
période est lunique manière dentrevoir lavenir
avec sérénité», clame Jacques Baudois.
Charmey Tourisme la compris, elle qui entend doper son offre estivale
par les ouvertures prochaines dun parc aventure et de deux sentiers
touristiques. De quoi augmenter la part de la belle saison, qui ne représente
pour lheure que 15% de son chiffre daffaires. Mais bien
des stations nen ont tout simplement pas loccasion. «On
na pas tous le Moléson ou les Dents-Vertes derrière
soi!» Ou tout simplement les moyens: «Développer
des activités estivales, cest bien joli, mais cela représente
de nouveaux investissements
Cest un cercle vicieux!»
Regrouper les
forces
Cela dit, les membres de lAFERM se sont également penchés
sur les solutions touchant leur avenir commun. «Nous réfléchissons
sérieusement à englober toutes les structures lourdes
du canton sous une seule et même entité», annonce
Jacques Baudois. Histoire de coordonner au moins les frais de gestion
et de marketing. «Jen ai parlé et cette proposition
na pas été contestée
Le processus pourrait
déjà se mettre en route dans les trois à cinq ans.»
La nécessité de regrouper les forces? Un avis partagé
par beaucoup. «Cette tendance est inéluctable», remarque
notamment Jacques Dumoulin, directeur de lUnion fribourgeoise
du tourisme. «Dans la situation actuelle, il nest plus possible
davoir partout les mêmes équipements lourds et coûteux.
A un moment donné, il faut assainir le milieu.»
Au pied du mur
Après deux hivers catastrophiques, les entreprises de remontées
mécaniques fribourgeoises se retrouvent donc au pied du mur.
Avec deux solutions devant elles: soit elles continuent dimplorer
individuellement les cieux de se montrer plus généreux,
soit elles décident de faire front commun contre les conséquences
dun réchauffement annoncé de longue date. Leur choix
déterminera si les débâcles du Schwyberg et des
Monts-Chevreuils resteront ou non des exceptions.
Lhiver
2002 en chiffres
«Mauvais.» Tel est le qualificatif utilisé par tous
les chefs dexploitation des entreprises de remontées mécaniques
fribourgeoises pour décrire lhiver 2002. Tous sauf celui
de Bellegarde, qui parle dun bilan «satisfaisant à
bon». Grâce à son microclimat et à ses canons
à neige, la station du haut de la vallée de la Jogne est
la seule à être demeurée ouverte tous les jours,
du 22 décembre au 17 mars. «Reste quavec un chiffre
daffaires de 350000 francs, il manque tout de même 100000
francs pour bien tourner», précise Jean-Marie Buchs.
A La Berra, Philippe Gaillard estime avoir «limité la casse»
grâce aux canons à neige, qui ont permis soixante jours
dexploitation. Mais, là encore, sur les 500000 francs budgétisés,
seuls 350000 sont rentrés dans les caisses. «Il nous manque
surtout la semaine de carnaval, qui rapporte jusquà 100000
francs les bonnes années.»
Aux Paccots, la situation est encore plus préoccupante, puisque
le résultat de la saison 2000-2001 sétait déjà
révélé «catastrophique». Or, «le
chiffre daffaires a encore baissé cet hiver», relève
Armand Pilloud. Qui précise que la station veveysanne na
ouvert que cinquante-huit jours, contre une moyenne de septante-cinq
ces dix dernières années. «Encore un comme ça
et cela deviendra vraiment problématique
»
A Charmey, le chiffre daffaires a plongé de 30% par rapport
à lhiver précédent, qui nétait
déjà pas bon. Au bilan, une perte de près de 300000
francs, «à digérer sur plusieurs mois», relève
Jean-Pierre Thürler, président de Charmey Tourisme.
Enfin, Moléson se trouve également dans une situation
financière «difficile» après une saison marquée
par seulement cinquante jours dexploitation. «Mais nous
sommes les moins malheureux, car nous réalisons la majorité
de notre million de chiffre daffaires en été»,
précise ladministrateur Philippe Micheloud.
Marc
Valloton /
2 avril 2002