MAGAZINE Codes d’honneur chez les sportifs

Malheur à celui qui le rompt

Même une bagarre lors d’un match de hockey peut être régie par des règles de conduite. C’est que les athlètes ont intérêt à respecter le code de l’honneur propre à leur sport. D’anciens professionnels racontent leur expérience dans le hockey, le cyclisme et le rugby.


 

Chaque sport a ses règles tacites et malheur à celui qui ne les respecte pas. La plupart des disciplines, en effet, possèdent des codes d’honneur entre athlètes. Des accords tacites qui s’ajoutent aux règles de jeu officielles. A en croire les consultants de télévision ou de radio qui, à l’antenne, regrettent souvent «le temps où ce genre de choses n’arrivaient pas», ces règles de conduite auraient tendance à disparaître au nom du sport business.
Nostalgie ou fait véridique? Difficile d’être catégorique. Mais pour mieux comprendre le mécanisme propre à certains sports, plongeons dans les coulisses du hockey, du cyclisme et du rugby (voir ci-contre). Il y a les règles qui durent, et celles qui disparaissent.
En cyclisme, la règle veut que l’on n’attaque pas un leader à terre. Et lors d’une échappée de deux coureurs, celui qui endossera le maillot de leader à l’arrivée laissera la victoire à l’autre. L’idée semble chevaleresque – elle n’est toutefois pas toujours respectée – mais le but poursuivi est surtout de s’assurer de la bonne collaboration de son compère d’échappée.

Un titre contre une carrière
Professionnel à la fin des années 1980, André Massard a vécu l’ère Hinault. «Je me souviens d’un Tour de Suisse où ça attaquait beaucoup, car les coureurs se battaient pour les victoires d’étapes dont les primes étaient intéressantes. Hinault, qui n’était sur la boucle que pour préparer le Tour de France, en a eu assez des attaques. Un matin, il a roulé à bloc, tout le monde devait chasser derrière. Après 50 kilomètres, il s’est relevé et a demandé si on en voulait encore. On avait compris le message.»
Face à un leader désigné dans une équipe, les «porteurs d’eau» n’ont pas intérêt à transgresser la hiérarchie. Le Belge Benoni Beheyt en a fait la triste expérience en 1963, lors des championnats du monde sur route. André Massard: «Rik Van Looy était le leader incontesté de l’équipe belge. Beheyt devait lui mener le sprint jusqu’à l’arrivée. Mais il l’a tellement bien mené qu’au final c’est lui qui a remporté le titre de champion. Par la suite, Beheyt a été totalement saboté. Van Looy a donné pour consigne d’empêcher toute victoire de son rival, ce qui a été fait. Avoir volé la politesse à un patron comme Van Looy a coûté une carrière à Beheyt.»
Un cycliste peut, bien malgré lui, faire les frais de querelles qui ne le concernent pas. André Massard se souvient d’une mésaventure vécue par le Suisse Sven Montgomery: «Il y a quelques années, Sven s’emparait du maillot de leader du Midi Libre, à une étape de la fin. Malheureusement, les directeurs sportifs des autres équipes étaient très remontés contre Marc Madiot, son directeur à la Française des Jeux. Tout le monde l’a donc attaqué le lendemain, et ceci dès le départ, alors qu’il s’agissait d’une étape de transition.» Et Sven Montgomery de compter une ligne de moins à son palmarès.

Homme de main sur la glace
En hockey sur glace, une tradition nord-américaine veut que chaque star possède dans l’équipe un homme de main, un goon en anglais. Quand Wayne Gretzky jouait aux Los Angeles Kings, c’est Marty MacSorley, le frère de l’entraîneur de Genève-Servette, qui jouait ce rôle de garde rapprochée. Gare à celui qui se frottait un peu trop près au Greatest one.
Aujourd’hui avocat de la place fribourgeoise, Ben Sapin, 32 ans, a joué le goon en LNB durant six ans. «Je n’étais pas un joueur technique, alors il fallait bien baser mon jeu sur d’autres qualités, rigole l’ancien hockeyeur. En LNB, le jeu était très accroché. Mon rôle était de charger l’étranger adverse et, au besoin, de protéger nos mercenaires. A Martigny, par exemple, j’étais le goon attitré de Fedulov.»
Et l’avocat de s’expliquer. «Il y avait beaucoup de bagarres, mais les joueurs respectaient les règles de loyauté. Il était exclu de taper avec la canne et c’était toujours du un contre un. On ne chargeait pas dans le dos et, évidemment, on ne touchait pas au gardien.»
Si cette habitude se perd aujourd’hui, c’est notamment parce que les joueurs d’outre-Atlantique sont moins nombreux en Suisse. «A Lausanne, quand une bagarre se déclenchait, notre entraîneur Jean Lussier faisait signe et on sautait tous sur la glace. Ça durait quelques minutes et l’affaire était réglée, sans coups méchants ni blessures. Il y avait une certaine autorégulation sur la glace. En plus, le public se régalait!»

«Nos supporters m’adoraient»
Ben Sapin se souvient d’une bagarre mémorable: «C’était lors du derby Martigny-Lausanne. Les deux équipes se sont battues durant trente-cinq minutes. Puis tout le monde s’est serré la main et comme c’était le Carnaval, on a tous fait la fête ensemble après le match.»
Sans vouloir encourager un comportement violent, le consultant pour Radio Fribourg regrette qu’aujourd’hui les bagarres soient lourdement sanctionnées par les arbitres. «Une punition est normale. Mais il ne faut pas diaboliser les bagarres. Ce règlement protège les lâches. Aujourd’hui, les crapauds qui donnent des coups avec la pointe de la canne dans le dos ou dans l’aine sont bien plus dangereux. Et ils mériteraient de prendre une leçon.»
De quoi bâtir une solide réputation à ces «hommes de main». «Pour ma part, elle était complètement surfaite! rigole le Fribourgeois. Car je n’étais pas très imposant physiquement. Mais je dois avouer que mes parents avaient honte, je me battais tout le temps. Les autres spectateurs me détestaient, mais nos supporters m’adoraient!»
Et de conclure: «J’étais bien étudiant en droit, mais je ne pouvais quand même pas agiter le règlement sous le nez des adversaires!»

«Un goon aurait aidé Bykov et Khomutov»

Ancien «homme de main» en LNB, Ben Sapin regrette que cette tradition nord-américaine de l’autorégulation sur la glace ait disparue. L’arbitrage et la sanction immédiate des bagarres sont-ils seuls responsables? «Ce serait un raccourci un peu facile, répond l’avocat. Car dans le football, on voit bien que l’arbitrage a énormément évolué et que par rapport à la violence des années 1970 le ménage a été fait. Aujourd’hui, les joueurs techniques sont protégés. Le problème est que le hockey reste un jeu physique.»
Si le principe de la «tolérance zéro» peut aujourd’hui modifier des comportements, voire prolonger la carrière de certains, à la fin des années 1990, Bykov et Khomutov ont fait les frais d’attaques répétées sur la glace. Surtout à la fin de leur carrière. Pour Ben Sapin, les deux tsars auraient bien eu besoin d’un goon. «Il me semble que c’est le meilleur moyen pour protéger les joueurs techniques. Aujourd’hui, quelqu’un qui donne un coup vicieux et dangereux prend deux minutes de pénalité, ou au pire un match de suspension. Mais ce n’est pas grave, il a sorti la star adverse. Peut-être que s’il savait qu’un gars de deux mètres lui tomberait dessus, il y réfléchirait à deux fois. Sans parler de blessure, un check bien appuyé contre la bande suffit à faire comprendre le message.»
Et l’avocat de préciser: «Dans le jeu, une mise en échec peut toujours déboucher sur une clavicule cassée, mais une bagarre en un contre un entre deux joueurs debout, je ne vois pas de danger pour l’intégrité physique de la personne. Je sais que certains ne sont pas d’accord avec cette vision nord-américaine, mais moi j’y adhère. Dans ces corps à corps il y avait des règles, et le respect de l’adversaire était bien présent.»
André Massard a également constaté une évolution dans le cyclisme. «Les salaires ont pris tellement d’ampleur qu’il y a de moins en moins de cadeaux. Le déroulement de la course a lui aussi évolué depuis les retransmissions télé, les coureurs attaquent dès le kilomètre zéro. Ils savent bien qu’ils courent au suicide. Mais l’important est de montrer le maillot du sponsor, même si c’est pour quelques mètres.»


Karine Allemann
19 janvier 2006

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