MAGAZINE Israël-Palestine

Le bourbier du proche-orient

Il y a un peu plus d'une année, le quartette (Etats-Unis, Union européenne, Russie et ONU) rendait publique la «feuille de route» qui établissait un calendrier du processus de paix entre Israël et la Palestine. Paul Grossrieder, ancien directeur du CICR, en avait analysé le contenu et les chances de succès dans «La Gruyère» du 14 juin 2003. Il revient aujourd’hui sur cette tragique situation.


C’est dans la modeste maison de La Pierraz qu’est née Marguerite Bays.
C’est là qu’elle est décédée, le 27 juin 1879

 

Où en est aujourd’hui la réalisation de ce plan de paix? Que font les acteurs principaux pour le faire avancer?
D’emblée il faut observer que les échéances prévues par la «feuille de route» ne sont pas tenues. Durant la phase I et en 2003 encore, les Pales-tiniens devaient mettre fin aux actes terroristes contre les civils israéliens. La phase II prévoyait la «création d’un Etat palestinien indépendant aux frontières provisoires» et aurait dû se réaliser en 2003. Quant à la phase III, la plus difficile à mettre en œuvre, elle comprenait les négociations finales pour établir un «statut permanent» de l’Etat palestinien et pour résoudre les questions des frontières, des réfugiés et des implantations israéliennes à Gaza et en Cisjordanie.
La «feuille de route» connut un début prometteur avec le cessez-le-feu obtenu de toutes les factions palestinien-nes par le Premier ministre d’alors, Mahmoud Abbas, qui a tenu durant tout le mois de juillet 2003, mois durant lequel les leaders israélien et palestinien ont tous deux rencontré le président amé-ricain à Washington. Il est vrai qu’Ariel Sharon s’était montré très prudent quant à d’éventuelles concessions sur les implantations et les libérations de prisonniers palestiniens, mais très ferme sur les questions de sécurité. George W. Bush avait tenu à peu près le même discours, encore qu’il ait qualifié de «problème» la construction du mur de sécurité. Malgré tout, un dialogue existait, quelque chose bougeait, et dans le bon sens.
En août 2003, ce fut le désastre. Un membre du Hamas se fit exploser en plein Jérusalem, tuant 21 innocents Israéliens. En réponse, Israël reprit sa politique d’assassinats ciblés et tua 16 Palestiniens à Gaza. Début 2004, Sheikh Yassin, leader charismatique du Hamas, fut tué par un missile. A peine nommé, son successeur, le Dr Rantisi, subit le même sort. Le cycle de la violence était relancé et la phase I de la «feuille de route» mise à mal.

L’Accord de Genève
Une année après son lancement, la «feuille de route» est devenue lettre morte. La première phase est remplacée par des violences sans précédent. Aucune espèce d’initiative n’a amorcé la création d’un Etat palestinien indépendant. Sans la mise en œuvre de cette phase II, la phase III finale est irréalisable.
Et pourtant, parallèlement et simultanément aux dra-mes humains dus au terrorisme des groupes extrémistes palestiniens et aux attaques de l’armée israélienne, des initiatives variées se sont succédé, dont l’objectif – à des degrés divers – est de faire avancer la cause de la paix. Le tout a débuté en décembre 2003 avec l’Accord de Genève qui fut rapidement suivi par le projet du Premier ministre israélien de retirer les implantations de Gaza. Puis ce fut, en février 2004, l’annonce par l’administration américaine du plan d’un «Grand Moyen-Orient» placé au cœur du programme du G8.
Sur le fond, l’Accord de Genève est de très loin l’initiative la plus importante. Contrairement à la «feuille de route», il traite toutes les questions à régler dans le cadre d’un futur traité de paix (Jérusalem, réfugiés, sécurité, frontières, détenus palestiniens, problème de l’eau, etc.). Pour chacun des problèmes, des solutions aussi équilibrées et réalistes que possible ont été apportées. La limite de cet accord n’est pas de substance, mais politique. Pour l’instant, il n’a qu’un caractère privé et aucun des acteurs officiels ne l’a sérieusement pris en considération, même si Colin Powell, le secrétaire d’Etat américain, a dit tout le bien qu’il en pensait à titre personnel.

Que cherche sharon?
Politiquement, c’est le retrait des implantations de Gaza annoncé par Sharon qui constitue l’initiative la plus importante. Elle ne s’inscrit dans aucun plan global, mais le Premier ministre manifeste une réelle volonté de passer à l’action. Preuve en est qu’il maintient sa ligne malgré l’opposition de son parti, le Likoud, et d’une partie de son gouvernement. Comment interpréter cet entêtement qui a la bénédiction de Washington? Les pessimistes y voient un piège, car ils sont certains que cette ouverture ne servira que de prétexte à ne rien faire d’autre en vue d’un règlement global. D’autres, pragmatiquement, estiment qu’il s’agit d’un geste concret, le premier depuis longtemps de la part du Gouvernement israélien. Le Hamas lui-même y voit une première victoire de son combat contre Israël. Marwan Barghouti, le leader détenu, a écrit de sa prison une lettre publique pour dire la même chose. Il est difficile de trancher, mais il semble certain que s’y opposer serait en tout état de cause contre-productif et donnerait un facile prétexte à Ariel Sharon de faire passer les Palestiniens pour des ennemis déclarés de la paix.
En mai 2004, l’opération israélienne dite «Arc-en-ciel et nuages» a fait des ravages inimaginables: bombardements contre une manifestation pacifique, démolitions d’habitations par centaines. Outre que ces punitions collectives et indiscriminées sont directement contraires au droit humanitaire international, elles posent une question politique cruciale: que cherche Ariel Sharon avec ces actions qui ne font qu’attiser le ressentiment anti-israélien?
Le projet américain du «Grand Moyen-Orient» a, lui, un caractère très abstrait, sinon fumeux. Il consiste à définir avec les Européens une stratégie globale susceptible de faire se développer la démocratie du Maroc à l’Afghanistan. Lors du sommet du G8 tenu la semaine dernière à Sea Island (USA), ce plan a été amendé par les Européens qui ont souhaité y introduire en priorité la résolution du conflit israélo-palestinien. On ne peut s’empêcher d’être sceptique sur le plan américain, comme le sont aussi les dirigeants arabes qui soupçonnent ses auteurs de vouloir faire diversion par rapport au conflit moyen-oriental.

Réactiver le dialogue
Ce survol des principaux événements militaires, politiques et diplomatiques n’incite pas à l’optimisme. Il laisse une impression de totale incohérence. Tout se passe comme si Israéliens et Palestiniens comptaient avant tout sur la force et la violence pour obtenir une victoire. Cette option est sans issue, car même en cas – très improbable – de victoire d’une des deux parties, il n’y aura pas de paix.
Par ailleurs, les initiati-ves politiques comme «Gaza d’abord» ou le «Grand Moyen-Orient» sont purement unilatérales et parachutées sans aucune discussion préparatoire avec les Palestiniens. Or, ce qu’il faut à tout prix réactiver, c’est la communication et les échanges entre les deux parties. Et qu’on ne vienne pas dire que c’est de l’utopie, car l’alternative relève du pur fatalisme historique. Et l’on sait à quelles atrocités cette passivité coupable conduit.
En cela, l’Administration américaine fait preuve d’une mollesse affligeante, car elle détient la clé de la reprise du dialogue. Malgré quelques gesticulations autour de la «feuille de route» auxquelles nous avions eu le tort de croire, elle n’a démontré aucune volonté politique sérieuse de prendre le problème à bras-le-corps. Or, elle dispose des leviers financiers nécessaires pour faire reprendre de sérieuses négociations.
Aujourd’hui, officiellement, tous les ponts sont coupés entre le gouvernement Sharon et l’Autorité palestinienne. Qui plus est, ses nombreuses déclarations de soutien à la politique israélienne semblent indiquer que George W. Bush a renoncé à son rôle de médiateur dans ce conflit, lui préférant le plan abstrait de «Grand Moyen-Orient» – qui lui non plus n’a pas été discuté au préalable avec les pays arabes, pourtant les premiers intéressés.
Or, qui a jamais vu une paix se faire sans traiter avec l’adversaire, quoi que l’on puisse penser de lui?
Paul Grossrieder

Paul Grossrieder
29 juin 2004

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