Où
en est aujourdhui la réalisation de ce plan de paix? Que
font les acteurs principaux pour le faire avancer?
Demblée il faut observer que les échéances
prévues par la «feuille de route» ne sont pas tenues.
Durant la phase I et en 2003 encore, les Pales-tiniens devaient mettre
fin aux actes terroristes contre les civils israéliens. La phase
II prévoyait la «création dun Etat palestinien
indépendant aux frontières provisoires» et aurait
dû se réaliser en 2003. Quant à la phase III, la
plus difficile à mettre en uvre, elle comprenait les négociations
finales pour établir un «statut permanent» de lEtat
palestinien et pour résoudre les questions des frontières,
des réfugiés et des implantations israéliennes
à Gaza et en Cisjordanie.
La «feuille de route» connut un début prometteur
avec le cessez-le-feu obtenu de toutes les factions palestinien-nes
par le Premier ministre dalors, Mahmoud Abbas, qui a tenu durant
tout le mois de juillet 2003, mois durant lequel les leaders israélien
et palestinien ont tous deux rencontré le président amé-ricain
à Washington. Il est vrai quAriel Sharon sétait
montré très prudent quant à déventuelles
concessions sur les implantations et les libérations de prisonniers
palestiniens, mais très ferme sur les questions de sécurité.
George W. Bush avait tenu à peu près le même discours,
encore quil ait qualifié de «problème»
la construction du mur de sécurité. Malgré tout,
un dialogue existait, quelque chose bougeait, et dans le bon sens.
En août 2003, ce fut le désastre. Un membre du Hamas se
fit exploser en plein Jérusalem, tuant 21 innocents Israéliens.
En réponse, Israël reprit sa politique dassassinats
ciblés et tua 16 Palestiniens à Gaza. Début 2004,
Sheikh Yassin, leader charismatique du Hamas, fut tué par un
missile. A peine nommé, son successeur, le Dr Rantisi, subit
le même sort. Le cycle de la violence était relancé
et la phase I de la «feuille de route» mise à mal.
LAccord
de Genève
Une année après son lancement, la «feuille
de route» est devenue lettre morte. La première phase est
remplacée par des violences sans précédent. Aucune
espèce dinitiative na amorcé la création
dun Etat palestinien indépendant. Sans la mise en uvre
de cette phase II, la phase III finale est irréalisable.
Et pourtant, parallèlement et simultanément aux dra-mes
humains dus au terrorisme des groupes extrémistes palestiniens
et aux attaques de larmée israélienne, des initiatives
variées se sont succédé, dont lobjectif
à des degrés divers est de faire avancer la cause
de la paix. Le tout a débuté en décembre 2003 avec
lAccord de Genève qui fut rapidement suivi par le projet
du Premier ministre israélien de retirer les implantations de
Gaza. Puis ce fut, en février 2004, lannonce par ladministration
américaine du plan dun «Grand Moyen-Orient»
placé au cur du programme du G8.
Sur le fond, lAccord de Genève est de très loin
linitiative la plus importante. Contrairement à la «feuille
de route», il traite toutes les questions à régler
dans le cadre dun futur traité de paix (Jérusalem,
réfugiés, sécurité, frontières, détenus
palestiniens, problème de leau, etc.). Pour chacun des
problèmes, des solutions aussi équilibrées et réalistes
que possible ont été apportées. La limite de cet
accord nest pas de substance, mais politique. Pour linstant,
il na quun caractère privé et aucun des acteurs
officiels ne la sérieusement pris en considération,
même si Colin Powell, le secrétaire dEtat américain,
a dit tout le bien quil en pensait à titre personnel.
Que
cherche sharon?
Politiquement, cest le retrait des implantations de Gaza
annoncé par Sharon qui constitue linitiative la plus importante.
Elle ne sinscrit dans aucun plan global, mais le Premier ministre
manifeste une réelle volonté de passer à laction.
Preuve en est quil maintient sa ligne malgré lopposition
de son parti, le Likoud, et dune partie de son gouvernement. Comment
interpréter cet entêtement qui a la bénédiction
de Washington? Les pessimistes y voient un piège, car ils sont
certains que cette ouverture ne servira que de prétexte à
ne rien faire dautre en vue dun règlement global.
Dautres, pragmatiquement, estiment quil sagit dun
geste concret, le premier depuis longtemps de la part du Gouvernement
israélien. Le Hamas lui-même y voit une première
victoire de son combat contre Israël. Marwan Barghouti, le leader
détenu, a écrit de sa prison une lettre publique pour
dire la même chose. Il est difficile de trancher, mais il semble
certain que sy opposer serait en tout état de cause contre-productif
et donnerait un facile prétexte à Ariel Sharon de faire
passer les Palestiniens pour des ennemis déclarés de la
paix.
En mai 2004, lopération israélienne dite «Arc-en-ciel
et nuages» a fait des ravages inimaginables: bombardements contre
une manifestation pacifique, démolitions dhabitations par
centaines. Outre que ces punitions collectives et indiscriminées
sont directement contraires au droit humanitaire international, elles
posent une question politique cruciale: que cherche Ariel Sharon avec
ces actions qui ne font quattiser le ressentiment anti-israélien?
Le projet américain du «Grand Moyen-Orient» a, lui,
un caractère très abstrait, sinon fumeux. Il consiste
à définir avec les Européens une stratégie
globale susceptible de faire se développer la démocratie
du Maroc à lAfghanistan. Lors du sommet du G8 tenu la semaine
dernière à Sea Island (USA), ce plan a été
amendé par les Européens qui ont souhaité y introduire
en priorité la résolution du conflit israélo-palestinien.
On ne peut sempêcher dêtre sceptique sur le
plan américain, comme le sont aussi les dirigeants arabes qui
soupçonnent ses auteurs de vouloir faire diversion par rapport
au conflit moyen-oriental.
Réactiver
le dialogue
Ce survol des principaux événements militaires, politiques
et diplomatiques nincite pas à loptimisme. Il laisse
une impression de totale incohérence. Tout se passe comme si
Israéliens et Palestiniens comptaient avant tout sur la force
et la violence pour obtenir une victoire. Cette option est sans issue,
car même en cas très improbable de victoire
dune des deux parties, il ny aura pas de paix.
Par ailleurs, les initiati-ves politiques comme «Gaza dabord»
ou le «Grand Moyen-Orient» sont purement unilatérales
et parachutées sans aucune discussion préparatoire avec
les Palestiniens. Or, ce quil faut à tout prix réactiver,
cest la communication et les échanges entre les deux parties.
Et quon ne vienne pas dire que cest de lutopie, car
lalternative relève du pur fatalisme historique. Et lon
sait à quelles atrocités cette passivité coupable
conduit.
En cela, lAdministration américaine fait preuve dune
mollesse affligeante, car elle détient la clé de la reprise
du dialogue. Malgré quelques gesticulations autour de la «feuille
de route» auxquelles nous avions eu le tort de croire, elle na
démontré aucune volonté politique sérieuse
de prendre le problème à bras-le-corps. Or, elle dispose
des leviers financiers nécessaires pour faire reprendre de sérieuses
négociations.
Aujourdhui, officiellement, tous les ponts sont coupés
entre le gouvernement Sharon et lAutorité palestinienne.
Qui plus est, ses nombreuses déclarations de soutien à
la politique israélienne semblent indiquer que George W. Bush
a renoncé à son rôle de médiateur dans ce
conflit, lui préférant le plan abstrait de «Grand
Moyen-Orient» qui lui non plus na pas été
discuté au préalable avec les pays arabes, pourtant les
premiers intéressés.
Or, qui a jamais vu une paix se faire sans traiter avec ladversaire,
quoi que lon puisse penser de lui?
Paul Grossrieder
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