Ce lundi, Marie
Castella partira de son village de Neirivue pour suivre sa première
journée à lEcole cantonale degré diplôme
(ECDD). Comme tous les étudiants qui franchissent une étape,
elle avoue une certaine appréhension. Peut-être un peu
plus que les autres: Marie est sourde, ce qui ne la pas empêchée
daccomplir une scolarité ordinaire au cycle dorientation.
«La première année était difficile, je restais
un peu seule dans mon coin. La deuxième, ça allait déjà
mieux et la dernière année, jétais intégrée,
je me suis fait des amies», explique Marie, 17 ans. Ces trois
ans, elle les a passés à 80% au CO de Jolimont, suivant
le reste des cours à lInstitut Saint-Joseph, le centre
scolaire pour enfants sourds et malentendants de Fribourg.
Marie insiste sur le fait quelle est sourde et pas malentendante:
elle ne peut donc profiter de lappui dun appareil auditif.
En classe, elle a bénéficié dun soutien pédagogique
et de laide dinterprètes pour certaines branches.
Et ses résultats se sont révélés probants:
Marie est passée de la classe pratique de ses deux premières
années à la section générale, explique sa
maman Chantal Castella, qui, tout au long de la discussion, traduit
en mots les signes de sa fille. «Ensuite, elle sest même
présentée toute seule à lexamen dentrée
de lECDD.»
Lintégration de Marie à lécole ordinaire
sest toutefois faite bien avant le CO. «A lécole
primaire, elle était déjà partiellement intégrée»,
relève sa maman. «Cétait dautant plus
facile que nous vivons dans un petit village, où les enfants
se connaissent», enchaîne Claude Castella, père de
Marie.
Des portes se
ferment
Pour toute la famille, il ny a aucun doute: cette expérience
sest révélée très positive. «A
lépoque où les sourds restaient en internat à
Saint-Joseph et en sortaient à 16 ans, le choc était important,
poursuit Claude Castella. Parce quà linstitut, ils
vivent un peu dans un cocon. Aujourdhui, ils sont confrontés
plus tôt, progressivement, au monde des entendants.» La
situation a nettement évolué: il fut une époque
où les instituts spécialisés interdisaient aux
enfants de parler leur langue naturelle, celle des signes
Plus tard, Marie Castella souhaite devenir laborantine. Cest quand
elle sest aperçue que certaines places dapprentissage
exigeaient le diplôme de lECDD quelle sest décidée
à intégrer cette école.
De manière générale, son handicap reste toutefois
un désavantage pour trouver une place. Sourd lui aussi, Thibaud
le frère aîné de Marie en a fait lexpérience,
après avoir effectué son école secondaire à
lInstitut Saint-Joseph: «Quand on demande aux entreprises
si elles accepteraient dengager des apprentis sourds, beaucoup
se disent prêtes à tenter lexpérience, affirme
Chantal Castella. Mais dans la réalité, les portes se
ferment souvent.» Aujourdhui, Thibaud effectue son apprentissage
débéniste dans lentreprise de son père.
«Et ça se passe très bien», note celui-ci.
Pas que lécole
Marie, de son côté, relève quelle a eu de
la chance à Jolimont: «Les profs faisaient attention à
moi, demandaient régulièrement si javais compris»,
explique-t-elle avec ce sourire qui ne la quitte guère. Tout
sest bien passé à lécole, mais selon
ses parents, les crève-curs demeurent nombreux. «Les
sourds se sentent très vite isolés», affirme Claude
Castella. «Au début, cétait dur de la voir
partir en sachant quelle allait rester seule dans son coin»,
souligne pour sa part Chantal.
Reste quil ny a pas que les études dans la vie des
adolescents
Et dans le domaine des loisirs, «Thibaud et
Marie sont arrivés à lâge où ils ont
dû faire un choix entre le monde des entendants et celui des sourds»,
explique Claude Castella.
Depuis que laîné a le permis, tous deux se rendent
ainsi régulièrement au Centre culturel des sourds, à
Lausanne. «Nous avons besoin de nous retrouver et de dialoguer
entre nous», explique Marie. Ravis de voir leurs enfants samuser
en groupe, Claude et Chantal nen ressentent pas moins les préoccupations
de tous les parents: «Larrivée du natel a été
un plus. Désormais, nous pouvons dialoguer par SMS pour leur
demander par exemple à quelle heure ils rentrent
»
Eric
Bulliard /
31 août 2002