Jean-Jacques Glasson

Le retrait du «8e conseiller»

Il présida durant la dernière législature la Commission d’économie publique, devenue aujourd’hui Commission des finances et de gestion. Député radical durant dix ans, Jean-Jacques Glasson a abandonné à la fin du mois de décembre tous ses mandats politiques. Occasion de faire le point sur l’état de l’Etat…


Jean-Jacques Glasson: «L’Etat de Fribourg vit au-dessus de ses moyens! (C. Haymoz)

On parle du président de la CEP, Commission d’économie publique devenue récemment Commission des finances et de gestion, comme d’un «huitième conseiller d’Etat». Le radical bullois Jean-Jacques Glasson, qui refuse cette appellation, a occupé durant la dernière législature cette fonction qu’il vient de quitter, salué par ses collègues pour sa compétence et sa rigueur. Elu député en 1991, il devient membre de la CEP dès 1993, avant d’accéder trois ans plus tard à cette présidence convoitée. Passerelle entre le Gouvernement et le Grand Conseil, Jean-Jacques Glasson a dû utiliser toute son autorité et son entregent pour faire passer le courant entre les deux pouvoirs.
Entré en politique en 1991 seulement, à l’approche de la cinquantaine, il est élu conseiller général de Bulle et député. Un grand-père syndic de Bulle et conseiller national, un père syndic: Jean-Jacques Glasson ne pouvait échapper à cet atavisme familial. Il fut auparavant membre du Conseil paroissial bullois qu’il présida de 1986 à 1998.
Pour ce vétérinaire de formation, la fin de l’année 2001 marque une césure. Au 31 décembre, il a en effet abandonné toutes ses fonctions politiques et s’est retiré de l’entreprise familiale dont il ne conserve que la présidence du conseil d’administration. Il restera également actif au sein de quatre autres entreprises en qualité d’administrateur. Il demeure notamment à la présidence des Fils d’Alphonse Glasson SA, maison éditrice de La Gruyère. Celui qui rêvait d’être paysan compte s’occuper davantage de ses alpages et de ses forêts. Il souhaite surtout être plus présent auprès des siens.

– A la fin de l’année, vous avez abandonné votre fonction de député. Vous ne présidez donc plus la Commission des finances et de gestion. En quoi consiste cette commission importante, noyau dur du pouvoir législatif?
Jean-Jacques Glasson. La Commission des finances et de gestion (CFG) est l’une des rares commissions permanentes. L’ancienne CEP inscrit son action dans la durée. Elle travaille dans un état d’esprit
qu’elle essaie de maintenir durant toute une législature. Comme le Conseil d’Etat qui possède son programme de législature, le Grand Conseil possède sa ligne financière, définie par la CFG. Ce qui implique un grand investissement de la part des députés qui en sont membres: l’an passé, nous avons siégé plus d’une quarantaine d’après-midi, en plus des séances du Grand Conseil.

– On prétend que le président de la CFG tient du 8e conseiller d’Etat. Légende ou réalité?
Une légende! Il faut admettre que cette présidence est convoitée, notamment à cause de ses rapports privilégiés avec les conseillers d’Etat. Le président est souvent appelé à rencontrer un conseiller d’Etat qui souhaite connaître l’opinion de la commission. Il est tenu au courant avant les députés de certaines décisions et de certaines tendances qui se manifestent au sein du Gouvernement. Mais son travail demeure dans le cadre législatif: il ne prend pas de décisions. Avouons qu’il fut un temps où le président de la CEP possédait une certaine aura propre à influencer des décisions. Mais cette époque est révolue.

– Présider la CFG, c’est être au cœur de la machine du pouvoir. A l’issue de votre présidence, quel regard portez-vous sur le système fribourgeois?
La machine de la CFG fait correctement son travail. Elle chicane parfois certains conseillers d’Etat, en refusant de leur dire toujours amen. Notre commission a les défauts de la démocratie, avec la nécessité d’avoir une majorité pour prendre des décisions, ce qui implique des concessions de part et d’autre. A la mi-législature par exemple, alors que le Gouvernement avait révisé son plan et avait réussi à contenir son déficit, le Grand Conseil devait également faire un effort et ne pas voter tout et n’importe quoi. La commission a fait son travail, qui n’est pas toujours très populaire!

– N’y a-t-il pas de tiraillements issus de votre position entre l’Exécutif et le Législatif?
La CFG réfléchit parfois davantage du côté gouvernemental dans la mesure où elle connaît mieux les problèmes et ne peut pas se contenter, comme le fait parfois le Grand Conseil, de prendre des décisions sans trop se soucier des conséquences financières. Durant cette dernière législature, nous avons mis l’accent sur cet aspect en chiffrant toutes les décisions prises. Progressivement, les influences commencent à se sentir. Avec un bémol pour la fin de la période avec la Constituante qui ne se rend pas du tout compte de ces problèmes.

– C’est une inquiétude?
Pour moi, oui. La Constituante, formée de personnes tout à fait sincères, ne se rend pas compte que tout a un coût. Et que le problème principal du canton est financier: Fribourg dispose d’un revenu (celui des personnes physiques) qui se situe 21% en dessous de la moyenne suisse. Or, tout ce qui concerne le social, les soins ou l’enseignement est supérieur à cette moyenne. Il y a donc là une trop grande différence.

– En d’autres mots, l’Etat de Fribourg vit un peu au dessus de ses moyens?
Pas qu’un peu, tout à fait au dessus de ses moyens! Et je ne sais pas comment cela va aller. Car nous avons dû serrer les boulons du dernier budget en bloquant les nouveaux postes, à l’exception de la santé et de l’enseignement. Et malgré cela, nous avons une forte augmentation des dépenses et un déficit tel que nous sommes proches de l’augmentation d’impôt.

– Ce budget est l’un des moins bons de ces dernières années. Le citoyen a le sentiment que la machine étatique est devenue un mastodonte qui ne peut plus être maîtrisé. Votre sentiment par rapport à cette situation?
Ce mastodonte pourrait être dominé, mais on n’ose pas. On n’ose pas faire les choix nécessaires. Prenons un exemple, celui de l’aide pour les cotisations de la caisse maladie coûte à l’Etat 111 millions. Sans contester le bien-fondé de cette aide, il faut savoir que nous demandons le maximum afin d’obtenir le maximum de subventions de la Confédération. Or, l’aide de Berne n’est pas assurée de manière éternelle, ce qui contraindrait le canton à payer la différence: ce n’est presque pas pensable. Ne pourrait-on pas diminuer ces aides et mieux les cibler? Une personne avec quatre enfants dont le revenu imposable est de 96000 francs touche encore cette aide. Il me semble qu’il serait préférable de la concentrer sur des gens véritablement modestes.

– Un manque de choix politiques avant tout?
On n’a pas le courage de ces choix politiques. Je ne dis pas que cela soit facile. Dès que l’on commence à couper, cela provoque de fortes réactions. Raison pour laquelle je suis très pessimiste quant à l’avenir.

– Revenons sur l’élection de Maurice Ropraz, dont vous étiez le président du comité de soutien. Ce dernier s’est présenté comme le préfet du renouveau et de l’alternance. Quel sens donnez-vous à cette expression?
Maurice Ropraz aura sans doute une manière plus pratique d’aborder certains problèmes grâce à la tradition d’entrepreneur qu’il a héritée de sa famille et grâce à ses expériences de député et d’indépendant. L’autre facette du renouveau, c’est un changement avec certains automatismes dont on dit qu’ils sont du passé, mais qui existent encore. Des automatismes liés à une forme de «ça va de soi» du PDC. Quand on voit la réaction de certains démocrates-chrétiens, plus d’un mois après l’élection, cela donne raison à cette thèse. Maurice Ropraz s’est présenté comme le préfet du renouveau pour cesser avec certaines de ces habitudes et je compte bien sur lui pour qu’il ne fasse pas avec les radicaux ce qui se pratiquait auparavant…

– Un système radical ne devrait donc pas succéder à un système démocrate-chrétien?
Nous ne fonctionnons pas tellement comme cela… Je pense que l’élection de Maurice Ropraz tient aussi du symbole. D’autant plus que les radicaux sont parfois admis lorsqu’ils restent sur la réserve et rendent service. Mais quand ceux-ci revendiquent des places, ils deviennent plus ennuyeux. Nous ne sommes pas des citoyens de seconde zone!

– Lors de la victoire du préfet Maurice Ropraz, vous avez parlé de la victoire d’un radicalisme populaire. Mais existe-t-il vraiment ce radicalisme gruérien issu du XIXe siècle, parti d’opposition teinté d’une forte fibre sociale, dont votre père était l’un des plus éminents représentants?
Moi aussi je pensais que ce radicalisme gruérien, qui rassemblait des milieux populaires à la manière du PAB bernois, n’existait plus. Mais j’ai révisé mon jugement le 2 décembre lorsque j’ai vu, à Bulle et à Sorens, des personnes âgées pleurer, des jeunes se réjouir, plusieurs générations rassemblées autour de cette victoire. Pour ces gens modestes, le Parti radical était le symbole d’une liberté de pensée. Car il faut admettre que, à un moment donné, si nous étions enfants de radicaux nous étions classés par le clergé et le corps enseignant. Pour certains, ce sentiment de mise à l’écart est resté.

Propos recueillis par
Patrice Borcard / 3 janvier 2002