Il est des gens
quon côtoie jour après jour, quon voit partout,
avec qui lon discute, lon travaille, lon trinque et
lon rit, et dont on se dit après toutes ces années:
«Mais quel homme est-il, au fait?» Placide Meyer est de
ceux-là. Durant vingt années, il a résolu bien
des problèmes entre citoyens, donné de son temps à
chacun, partagé les soucis des gens en détresse qui venaient
frapper à sa porte comme à celle dun confident,
dun conseiller. Il a sillonné la campagne dune manifestation
à lautre, rencontré tout ce que la Gruyère
compte dâmes.
Mais son âme à lui, quelle est-elle? Difficile déclairer
le mystère. «Cest un homme assez réservé,
qui garde beaucoup de choses à lintérieur. Il est
assez secret», reconnaît même son fils Stéphane,
qui habite, avec sa famille, au-dessus de ses parents dans la nouvelle
maison familiale de Bulle. «Placide est très discret. Il
naime pas parler de lui-même. Nous le connaissons bien,
mais il faut admettre quil ne se livre guère», témoignent
quant à eux Joseph et Gisèle Mauron, de Riaz, anciens
voisins qui comptent parmi les meilleurs amis de la famille Meyer depuis
près de trente ans.
Labsence
Il est des choses, il est vrai, dont il est difficile de parler.
Début décembre, pourtant, à lissue de «sa»
dernière assemblée de lAssociation régionale
la Gruyère (ARG), Placide Meyer a parlé de lui. Nul bilan
de ses vingt années préfectorales, nul discours sur lévolution
du district. Mais une voix quon ne lui connaissait pas, pour évoquer
les deux événements qui ont marqué ses quatre législatures:
«Mes débuts à la préfecture ont été
marqués par la mort de mon fils. Et je termine cette charge avec
la naissance de mes deux petits-enfants. Et comme je les vois grandir,
jai limpression que Jean-Philippe revit.»
Drame de toute la famille Meyer, la perte de ce fils, survenue en 1982,
est peut-être la plaie intérieure qui impose à Placide
Meyer le silence sur ses états dâme. Une plaie qui
fut très longue à soigner, et sur laquelle ses deux petits-enfants
ont agi comme un baume. Mais sans doute pas jusquà la résorber.
«Une telle plaie ne se résorbe pas. Mais elle sest
cicatrisée», croit Stéphane. Joseph et Gisèle
Mauron: «La mort de Jean-Philippe, on ne peut en parler que depuis
récemment. Et ses petits-enfants, cest formidable pour
lui. Ils sont le signe que la vie continue.»
Sil parle peu de lui-même, Placide Meyer na cependant
rien du taciturne. «Il est très expansif, dit son fils.
A chaque fois quon le voit, il nous raconte sa journée,
parle des choses qui le préoccupent. Sans jamais bien sûr
transgresser son devoir de réserve. Mais, aussi loin que je men
souvienne, je ne lai jamais entendu se plaindre.» Isabelle,
lépouse de Stéphane, complète: «En
fait, il aime avant tout écouter les autres, prendre des nouvelles
de chacun dentre nous.»
Aller vers les
autres
De sa première profession denseignant à lécole
secondaire un ancien élève sen souvient comme
d«un bon prof, qui ne sénervait jamais et,
contrairement à beaucoup dautres, ne nous inspirait pas
de la peur» Placide Meyer a conservé le sens de
lécoute. Stéphane et Isabelle Meyer: «Cest
sûrement lune des choses quil apprécie le plus:
aller à la rencontre de lautre, discuter avec les gens.
Parfois, lorsquil pourrait rester tranquillement à la maison,
ce qui nest pas fréquent, il faut encore quil décide
de sortir dans telle ou telle manifestation! Croyez-nous: ce nest
pas par devoir ou par opportunisme, mais bien par passion.» Le
bord dun terrain de foot, une fête de village: toute occasion
est bonne. «Il nest pas tant un homme politique quun
homme du peuple, pour qui le contact de la foule est une nécessité»,
confirme André Geinoz, lieutenant de préfet depuis 1995.
Le conseiller
Ce sens de lécoute est sans doute la qualité
qui a fait de Placide Meyer un préfet si populaire. André
Geinoz, qui était déjà au service de la préfecture
depuis plus dune année lorsque Placide Meyer a succédé
à Robert Menoud en 1982, témoigne: «Il est si proche
des gens! Je ne lai jamais vu ne pas prendre un appel téléphonique
sous prétexte quil était surchargé ou quil
se rendait à une séance. Y compris lorsque le cas ne relevait
pas de la préfecture. Beaucoup de gens dans la détresse
le considéraient comme un conseiller. Placide Meyer a toujours
eu un grand sens de la responsabilité sociale du préfet.
Puis, il a apaisé nombre de litiges en dehors de toute séance
officielle, sur le terrain. En faisant appel au bon sens des personnes
impliquées et en témoignant dun indéfectible
sens du dialogue.» Courtois et agréable, intègre
et conciliant, Placide Meyer ne sest quasiment jamais départi
de son tempérament égal: «Les affaires où
il a dû hausser le ton se comptent vraiment sur les doigts dune
main, assure André Geinoz. Il a toujours géré ses
dossiers avec un calme égal, désarmant parfois.»
Un calme qui peut cependant le quitter lorsque la discussion devient
par trop politique. Si le préfet Meyer a été celui
de tous les Gruériens, il nen demeure pas moins un farouche
partisan du Parti démocrate-chrétien. «Au-jourdhui,
on ne peut pas encore parler de lélection à la préfecture,
quil na toujours pas digérée», avouent
Joseph et Gisèle Mauron, qui naffichent pas les mêmes
tendances partisanes que leur ami.
Déçu de quitter «son» château bullois,
Placide Meyer? «Il ma répondu non, et ça ma
étonné», dit son fils Stéphane. Son collaborateur
le plus proche tempère: «Oh, il part sans doute avec un
pincement au cur, mais surtout avec le sentiment davoir
fait tout ce quil pouvait pour son district et ses habitants.»
Jeune retraité, Placide Meyer va rester au service de la collectivité
via diverses associations dont il a accepté la présidence.
Il va continuer de cultiver sa passion pour la montagne, pour ces voyages
qui lont amené un peu partout dans le monde. Puis, il va
voir grandir ses petits-enfants. Comme des signes que la vie continue.
Didier
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3 janvier 2002