Soliste de la dernière Fête des vignerons, Patrick Menoud sest imposé
un été durant dans les arènes de Vevey. Depuis, lagriculteur de Sommentier
nen finit plus de battre la campagne. Lespace dune soirée, le grand
frère sest tout de même arrêté sur une terrasse bulloise, en compagnie
de sa petite sur, «Miette».
Entre
Patrick Menoud et sa sur Anne-Françoise Seydoux,
une complicité sans faille
(C. Haymoz)
Ces
deux-là doivent sentendre comme larrons en foire. Il ny a quà les
observer pour sen convaincre: réunis sur une terrasse du centre-ville
de Bulle, Patrick Menoud, 28 ans, et Anne-Françoise Seydoux, 24 ans,
respirent la complicité. Vêtu dun bredzon, le soliste de la Fête des
vignerons 1999 lorgne sur sa petite sur comme un enfant sur le plus
beau des cadeaux. «Miette», comme il la surnomme, se contente de sourire.
Les années qui les séparent nont guère demprise sur la relation qui
les unit. «Quand jétais petite, cétait mon protecteur, se souvient
celle qui est devenue assistante en pharmacie à lHôpital du Sud fribourgeois.
Un jour notamment, un gros chien ma couru après. Jai détalé derrière
mon frère pour my cacher et il na pas bougé. Lautre na pas demandé
son reste!» A lévocation de ce souvenir, Patrick rit de bon cur: «Ma
foi, cétait ma ptite sur, il fallait en prendre soin
Cest vrai
que jai peut-être un peu exagéré. Un jour, même linstituteur du village
ma invité à cesser de la couver!» Un court silence sinstalle. Il nest
jamais simple de se souvenir. Encore moins de se livrer. «On na pas
des craquées de choses à raconter, sexcuse lagriculteur de Sommentier,
un peu gêné. Vous savez, ça se passe beaucoup avec le cur
» Anne-Françoise
acquiesce. «Ça nous arrivait quand même de nous chipoter, de temps en
temps», remarque-t-elle, comme pour brouiller une piste fraternelle
trop radieuse. «Cétait la préférée des parents, corrige son aîné. On
navait rien le droit dy faire!» Elle sinsurge, mais un léger sourire
la trahit. Il poursuit: «Il faut dire quelle avait le caractère bien
trempé! Ses idées, elle les a toujours défendues avec conviction. Cest
pour cela que jaime autant discuter avec.»
Moments
privilégiés
Si les deux sapprécient autant, cest sans doute parce quils partagent
des goûts identiques. Ou linverse, cest selon. «On aime les mêmes
musiques et les mêmes films», précise Patrick. Sans parler du chant.
«Au village, cétait lune des seules sociétés qui nous étaient ouvertes,
avec la Jeunesse. Cest là quon a commencé, dabord au chur mixte,
puis chez les patoisants de la Glâne.» Elle: «A la maison, on jouait
ensemble au jeu des chansons: lun entamait un air et lautre devait
en deviner le titre
» La maison. Lieu dune atmosphère familiale dont
tous deux se souviennent comme dun repère de moments privilégiés. Surtout
les jours de fête. «On était toujours beaucoup autour de la table. Elle
était pourtant aussi large que longue, mais on ne la voyait plus, tellement
elle était couverte de plats!» Ce sont des petites choses qui restent.
Surtout lorsque le temps a fait son chemin. Jean-Louis, laîné des trois
enfants, a quitté le bercail jeune. Dautres membres de la famille sen
sont définitivement allés. Quant à Anne-Françoise, elle a fondé son
propre foyer à la fin de lannée dernière et sest mariée ce printemps.
Patrick hoche la tête: «Maintenant, autour de la table, on nest plus
que quatre, mes parents, mon oncle et moi
Bien sûr, ça me manque. Mais
cest la vie. Un jour, je rencontrerai à mon tour quelquun.» Il sarrête.
Pour mieux reprendre. «Quand sa petite sur se marie, ça fait quelque
chose! Heureusement, on sentend très bien, avec le beau-frère. Ils
viennent dailleurs souvent nous rendre visite.» Anne-Françoise le coupe:
«Ce qui est drôle, cest que jai rencontré mon futur mari en allant
te retrouver un samedi soir, par curiosité dapercevoir ta copine!»
Il reprend: «Un jour, tu mas avoué avoir prié pour que lon rencontre
quelquun en même temps, afin que lon puisse continuer à sortir ensemble,
tous les quatre
Ça ma beaucoup touché.»
Le
temps des virées
A lévocation du temps des sorties, les souvenirs se bousculent. Car
rien ne vaut le week-end pour resserrer un peu plus les liens. «Quand
on est paysan , on a moins loccasion de partir en vacances, relève
Patrick. Alors, on compense ailleurs. Notamment durant les sorties.»
«On a tout fait ensemble, poursuit Anne-Françoise. Les virées, les Nouvel-An,
les anniversaires
Maintenant, on sort un petit peu moins. Mais quand
on le fait, cest pour de bon!» Autre souvenir, inébranlable celui-ci:
la Fête des vignerons, dont Patrick fut lune des figures marquantes.
«Jai été sidérée lorsque jai appris ta nomination, lance-t-elle. Et
jai toujours de la peine à me rendre compte que tu étais Le soliste!
Heureusement, tu as su garder la tête froide.» Il rougit presque. Mais
coupe aussi sec: «Yavait pas à se monter la tête pour si peu. Chanter
le Ranz des vaches, cest pas si compliqué
» Une chose létonne pourtant:
cest que lengouement populaire né autour de la fête perdure. Ainsi,
continue-t-il à battre la campagne avec Les Armaillis de lEcho, réunissant
huit des douze solistes de Vevey, et ses autres churs.
Quel
avenir?
Bientôt, Patrick sera appelé à reprendre le domaine familial. Il sen
réjouit: «Jaime mon métier de paysan. Reprendre un domaine, cest comme
chanter à la Fête des vignerons: on en accepte la responsabilité, on
fait au mieux et on espère le transmettre à son successeur dans les
meilleures conditions.» Ce quil souhaite à sa petite sur? Evasif:
«Jai ma petite idée là-dessus
» Anne-Françoise le sent venir: «Il se
voit déjà parrain!» Dernier sourire. Ultime coup dil complice. Ces
deux-là sentendent décidément comme larrons en foire.
Marc
Valloton / 9 août 2001