Benoît Challand

Un civiliste au Proche-Orient

Chaque jour ou presque, les informations en provenance du Proche-Orient charrient leur lot d’horreurs, d’affrontements et d’attentats. Une réalité que Benoît Challand, 28 ans, côtoie depuis le mois de janvier. Ce Fribourgeois de Farvagny effectue son service civil dans les Territoires occupés. Son témoignage.


Les brancardiers de la principale ONG palestinienne sont en première ligne lors des affrontements avec l’armée israélienne (R. Wingert/UPMRC)

D’un coup d’un seul, il effectue son service civil, acquiert de l’expérience professionnelle sur le terrain et poursuit l’apprentissage de l’arabe, une langue qu’il a découverte durant ses études postgrades à Londres. Benoît Challand, 28 ans, a surtout trouvé le moyen de se rendre utile dans une des régions les plus agitées du monde. Jeune licencié en histoire et en politologie, auteur d’un ouvrage remarqué sur la Ligue marxiste révolutionnaire en Suisse romande, le Fribourgeois effectue son service civil en Palestine, dans les Territoires occupés. Depuis le mois de janvier, Benoît Challand y travaille pour une ONG palestinienne active dans le domaine de la santé (lire l’encadré). Son bilan après sept mois sur place: «Globalement mitigé, tant la situation est loin de s’améliorer. La violence est malheureusement in-contournable ici. Elle m’écœure tous les jours, et il est parfois décourageant de voir qu’il est si difficile de sortir de cette logique.» A quelques jours de son retour en Suisse, dans son village de Farvagny, le jeune civiliste constate que les ponts construits entre Palestiniens et Israéliens à Oslo en 1993, par exemple, ont été balayés par les premières semaines d’affrontement, en septembre 2000. Depuis l’éclatement de cette nouvelle Intifada, «les Israéliens ont reconquis certains territoires transférés aux Palestiniens lors du processus de paix. Au reste, il y a des actes condamnables de part et d’autre, qui ne laissent qu’un gouffre d’incompréhension et un vent de rancœur.» Loin de baisser les bras, le Fribourgeois veut croire qu’il existe des solutions pour le Proche-Orient. Encore faudrait-il que la communauté internationale fasse pression pour mettre en pratique les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies: «Pourquoi ce qui a été possible au Kosovo il y a deux ans ne le serait pas ici?» s’interroge-t-il. Pour lui pas de doute: «Le droit international est du côté des Palestiniens.»

Les réalités du terrain
Son bilan personnel, au contraire, est nettement positif. L’universitaire s’est frotté aux réalités du terrain: «J’ai beaucoup appris par mes contacts sur la vie en Palestine. J’ai aujourd’hui un autre regard sur les questions de développement», déclare celui qui a attrapé le virus pour le Moyen-Orient en suivant les cours du professeur Yves Besson, à l’Université de Fribourg. Comme a pu s’en rendre compte Benoît Challand, des sentiments d’impuissance animent tous les jours les Palestiniens. «Ils vivent dans une zone militairement occupée depuis 1967. On leur dénie jusqu’à la liberté de mouvement à l’intérieur de leur propre territoire. Le bouclage de ces zones est tel que les soldats ou les colons interdisent même parfois le passage des ambulances palestiniennes. Plusieurs femmes ont dû accoucher à des barrages israéliens car on leur refusait l’accès à un centre médical.»

Vexations multiples
Et de citer aussi le cas d’un habitant de Gaza ayant achevé ses études à l’Université de Birzeit, non loin de Ramallah. Sa famille n’a pas pu se rendre en Cisjordanie pour la remise des diplômes. «Imaginez des habitants vivant dans une enclave de la Broye à qui on interdit de se rendre en Gruyère car il faut pour cela traverser une zone vaudoise», compare-t-il. Autre vexation: le manque d’eau potable, sachant que ce sont les autorités israéliennes, voire les colons, qui contrôlent l’ouverture et la fermeture du robinet qui alimente les Territoires. Malgré tout, y compris les attentes aux barrages, la population palestinienne garde généralement son calme, selon lui. «C’est un sentiment de dignité qui prévaut, alors que le droit de résistance contre l’occupant est légitime.» Pour Benoît Challand, seule une normalisation de la situation – en particulier la libre circulation et le retrait des forces israéliennes – pourrait enrayer la spirale de la violence. Cette thématique, l’universitaire va la prolonger sous la forme d’un doctorat en sciences politiques à l’Institut universitaire de Florence qu’il consacrera à la démocratisation en Palestine.

Le bouclage des Territoires
Quel est le quotidien de Benoît Challand, qui effectue son service civil dans les territoires palestiniens occupés par Israël? Son témoignage: «Je passe généralement mes journées au siège de l’organisation palestinienne où je travaille, à Jérusalem-Est. Comme je vis à Ramallah, je dois effectuer deux fois par jour un trajet d’environ dix kilomètres. Avec les barrages israéliens, les 20 minutes habituelles peuvent se transformer en 1 h 30 ou plus encore. Il m’arrive de passer à des endroits en proie à des affrontements. Bref, le simple fait de se rendre sur le lieu de travail est déjà en soi une aventure. »Mon travail consiste à récolter des informations auprès des directeurs de programmes et des coordinateurs locaux pour rédiger rapports, brochures et traductions. Il me faut aussi assurer le suivi de certains dossiers. Une fois par semaine, j’effectue des visites sur le terrain, également pour le compte de Médecins du monde - Suisse à Bethléem, Al-Khader, Toulkarem, Qalqiliya, principalement. J’y collecte des informations sur un futur projet de santé mentale. Pour l’Union des comités palestiniens d’entraide médicale, le personnel me renseigne sur l’accès aux soins, les difficultés d’approvisionnement en médicaments, etc. »J’ai pu ainsi sillonner la Cisjordanie et la bande de Gaza et me faire une idée précise de la situation dans les régions les plus reculées, là où les médias internationaux ne vont pas. C’est alors qu’on se rend vraiment compte de ce que veut dire l’expression “bouclage des Territoires”.»

Une ONG récompensée
L’Union des comités palestiniens d’entraide médicale est l’une des plus anciennes et des plus grandes organisations non gouvernementales (ONG) de la région. Elle s’est vue attribuer en mai par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) le Prix 2001 de la Fondation pour la santé des Emirats arabes unis. Une distinction qui récompense ses efforts en vue d’améliorer la qualité des soins primaires en Palestine. Créée en 1979 par une poignée de docteurs et de professionnels de la santé, elle compte 250 collaborateurs fixes et un millier de volontaires (www.upmrc.org). Leur motivation: remédier aux dégradations des infrastructures médicales provoquées par les années d’occupation militaire israélienne. L’Union dispose de 24 centres de traitement en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Elle s’appuie aussi sur deux centres de physiothérapie, un centre d’optométrie (relatif à la vue), quatre centrales de prêts de matériel médical et orthopédique ainsi que des cliniques mobiles. Cette ONG est active sur le front de l’Intifada: elle forme et fournit les brancardiers et les volontaires qui portent secours aux victimes des échauffourées.

Sébastien Julan / 9 août 2001