La
population locale ne suffit plus à faire vivre les petits cafés de campagne.
Mais si certains tenanciers jettent léponge, dautres ont trouvé comment
faire tourner leur bistrot. Mots dordre: intégration, accueil et rigueur.
La personnalité du cafetier joue aussi son rôle.
Cristina et Joao Coelho ont repris avec un autre couple le restaurant
de lAvenir à Remaufens. Réussite (M.
Angel)
Après
un peu plus dune année, le tenancier du café de la Croix Blanche à
Granges sen va. A Promasens, la seule pinte de village est fermée depuis
de longs mois. A Broc, les tenanciers de lHôtel de Ville jettent léponge
après trois ans de service. La valse des fermetures et réouvertures
et la rumba de départs et darrivées de cafetiers donne le tournis.
La survie des établissements de campagne est-elle menacée? Comment faire
le succès dune pinte de village et quels sont les écueils à éviter?
Enquête en Veveyse et en Glâne. En 15 ans, le propriétaire du Café de
la Gare à Bossonnens, Daniel Ghelfi, dresse un bilan plutôt positif
de lexploitation de son établissement: «Il y a eu trois phases: les
cinq premières années ont très bien marché, comme ces cinq dernières
dailleurs. Entre deux, ça a mal fonctionné. La marche du bistrot a
été normale sur les 70% de cette période.» Pour lui, la réussite ou
léchec nest quune question de personne et daccueil. «Le tenancier
actuel, Michel Magnin, a réussi la gageure de faire marcher létablissement
de façon optimale. Il est présent six jours sur sept, du matin au soir,
il a engagé un très bon cuisinier et a donné une âme au restaurant.»
Son constat? Dune part, «il faut être là». Non seulement pour serrer
la main des clients, mais aussi pour une gestion optimale. «Je travaille
dans le même bâtiment. Je peux donc intervenir tout de suite en cas
de problème technique ou logistique. Il y a une synergie entre le tenancier
et moi.» Dautre part, les restaurants ne peuvent plus compter que sur
la population locale. «Les gens se déplacent pour travailler, faire
des achats, sortir. Il se crée donc automatiquement des liens avec lextérieur.
Doù la nécessité dattirer une clientèle venant dailleurs, tout en
sauvegardant lintérêt des autochtones», souligne Daniel Ghelfi.
Suisses
et Portugais
Cest le pari quont réussi en six mois les nouveaux arrivés au restaurant
de lAvenir à Remaufens, deux couples, Maria-José et Hernani Pinto,
ainsi que Cristina et Joao Coelho. Ces couples portugais ont pris les
rênes de létablissement après une fermeture de deux mois consécutive
à la faillite du précédent tenancier. «Nous avions compté au départ
sur une clientèle portugaise. Le premier souper que nous avons organisé
pour les membres dune société nous a ensuite amené des Suisses. Cest
le bouche à oreille qui a fonctionné», explique Joao Coelho. Il se rappelle
les débuts: «Nous craignions de ne pas réussir à lier contact avec la
population, dêtre vus comme les étrangers qui semparent du bistrot
du village. Les liens se sont finalement faits tout de suite.» Son épouse
acquiesce: «Ça reste leur bistrot et ils se sentent chez eux.» Résultat:
en six mois une clientèle déjà faite. Et ce malgré le fait que le café,
au cur du village, ne soit pas sur un lieu de passage très fréquenté.
Michel Benninger, par contre, qui sapprête à quitter la Croix Blanche
à Granges, «en a une écurée», comme il dit. Seule une petite partie
des villageois a joué le jeu du café selon lui. De plus, pas facile
pour ce Vaudois de sacclimater à la mentalité fribourgeoise. «Les gens
sont rois et seigneurs dans leur patrie. En tant que restaurateur, vous
êtes guetté de tous côtés et vous devez tout accepter. Je reproche à
la population son manque de franchise. Elle ne sadressait pas à moi
lorsquil y avait des problèmes, mais au Conseil communal.» Celui-ci,
par la bouche du syndic François Jordil, avoue un problème de communication
(voir encadré).
Pied-à-terre
des sociétés
Les sociétés locales contribuent encore souvent à la bonne marche de
létablissement. Cest le cas à Vuisternens-dt-Romont où trois cafetiers
ont pignon sur rue. Les groupes de la paroisse ont fait du Cercle régional
leur pied-à-terre. «Ils ont tous leurs tableaux ou leurs photos», observe
la gérante. Les établissements survivent aussi du fait que Vuisternens
forme une grande paroisse avec les communes avoi-sinantes. «Comme il
ny a pas dautres cafés, le village est devenu le lieu de rattachement»,
explique le syndic Gérard Moënnat. Autre son de cloche à Bossonnens.
Pour Daniel Ghelfi, le rôle social du café sest désagrégé. «A lépoque,
les sociétés venaient. Aujourdhui, chacune a ses propres locaux.» Reste
que tenir un restaurant, qui plus est à la campagne, implique de la
rigueur et un investissement personnel important. Doù lavantage, voire
la nécessité, dêtre des professionnels et de travailler en couple.
«Cest une économie de salaire. Et sil ny a pas lesprit de famille
dans un café de village, ça ne va pas», estime le syndic de Granges
François Jordil. Trouver la perle rare ne semble pas facile. «Aujourdhui,
en tant que propriétaire, le problème cest de trouver quelquun qui
puisse racheter le fonds de commerce. En plus vous pouvez tomber sur
un mauvais gestionnaire ou une personne qui devient son meilleur client!»
conclut Daniel Ghelfi.
Commune
à la rescousse?
Est-ce à la commune dinvestir pour sauver le café du village? Granges
a fait le pas. Mais sest-elle trompée en rachetant le café et en le
rénovant, pour une facture totale de 2,5 millions? «Non, répond catégoriquement
le syndic François Jordil. Le souci du Conseil communal était de maintenir
un lieu de rencontre dans un village qui a tendance à devenir une cité-dortoir.
Ce qui nous a aussi poussés, cest le fait quen rachetant le bâtiment,
nous avions du terrain pour construire une place de jeu. Il ny avait
pas demplacement ailleurs au village.» Son bilan? «On est peut-être
tombé sur un tenancier qui na pas su mettre le maximum de son côté
pour accueillir au mieux les gens. La commune a fait tout ce quelle
a pu, elle ne se sent pas du tout responsable.» Et davouer pourtant
quil y avait un gros problème de communication: «Une seule personne
au sein du Conseil communal aurait dû avoir affaire avec le cafetier.
Or tout le monde sen est mêlé.» A Promasens, on nimagine pas racheter
le café. «Ce dernier, qui appartient à une banque après la faillite
de lancien propriétaire, aurait besoin dimportantes transformations.
Ce sont de trop lourds investissements. Et qui dit investissement dit
loyer élevé ensuite. Et ça ne serait pas facile de trouver un tenancier.
Je suis pessimiste quant à sa réouverture. Maintenant que nous avons
fusionné, il y a quand même un restaurant sur la nouvelle commune, à
Rue. Et nous allons investir pour le rénover», explique le syndic Claude
Demierre.
Nicole
Schick / 20 février 2001