Editorial
Vache Folle

Le prion et les réglettes

En une semaine, Goldi a relancé en Suisse la polémique de la vache folle. Elle fait la une des gazettes, squatte les journaux télévisés, contraint un ministre à défendre sa politique et attise le trouble dans le troupeau des consommateurs. Goldi? C’est la vache de 5 ans élevée à la ferme des Saulgy à Pringy, qui, vendue à la fin janvier au Marché du bétail de boucherie à Bulle, a fini son parcours de ruminant dans un abattoir de Martigny. Et c’est un sondage effectué au hasard qui a tiré l’animal d’un anonymat qu’il n’aurait jamais dû quitter. Verdict du laboratoire, le 8 février suivant: la bête était infectée par l’encéphalite spongiforme bovine (ESB), autrement dit, la vache folle. C’est le 19e cas recensé dans le canton de Fribourg depuis 1992. Mais pourquoi le destin tragique de cette bête suscite-t-il pareil raffut? Hier encore, un quotidien romand, prompt à surfer sur les émotions collectives, sondait ses lecteurs. Résultat: une sourde inquiétude, une peur diffuse devant une maladie insaisissable. Le sort de cette vache gruérienne témoigne de la complexité de la situation actuelle. Voilà une bête que rien ne destinait à devenir la proie des prions. Née en 1996, six ans après l’interdiction de l’utilisation des farines animales dans les aliments pour bovins, elle semblait bien manifester quelques mouvements d’humeur nerveuse. Mais sinon, des attitudes très normales. Devant cette réalité, les propriétaires (qui témoignent dans cette édition) se révoltent: «C’est dégueulasse: nous sommes victimes de la cochonnerie qu’on a mise dans les aliments!» De deux choses l’une: ou les fabricants ont triché – et ils doivent répondre de leurs actes – ou l’ESB se transmet par d’autres voies. Le trouble engendré par cette découverte prouve, à l’évidence, que cette situation ne peut durer. Berne l’a compris, en tenant à atténuer les effets de la psychose en injectant 8 millions de francs supplémentaires dans un marché de la viande en pleine dégringolade. Dérisoire pourtant, face au malaise qui ronge l’opinion. Car les consommateurs, comme les producteurs qui ne savent plus à quels saints se vouer, exigent qu’on les rassure. Et ce n’est pas l’intervention du ministre Couchepin, l’autre soir à la télévision, qui va dans ce sens. Sur le fond, le conseiller fédéral a raison: une généralisation des tests de dépistage n’est pas une réponse scientifiquement adéquate. Elle ne permettrait qu’une faible identification des animaux atteints, en raison notamment de la longue incubation de la maladie. Mais il est des décisions symboliques qui portent davantage que des actes scientifiques. Et seul un dépistage généralisé est capable de ramener la confiance du consommateur. L’Europe le pratique depuis le début de l’année. La malheureuse aventure de Goldi la Gruérienne servira-t-elle à convaincre le ministre que la politique ne se fait pas qu’avec des réglettes?

Patrice Borcard / 17 février 2001

 

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