ÉDITORIAL
Elections françaises
Triste «Loft Story»?
Le Pen
a toujours annoncé urbi et orbi que les Français finiraient
par préférer loriginal de son programme à la
copie de ses adversaires. Chose faite dimanche: avec près de vingt
pour cent des voix, le candidat de lextrême droite a provoqué
un cataclysme au terme du premier tour de lélection présidentielle.
En simposant pour le deuxième round, il a éjecté
le premier ministre Jospin.
Au-delà de la première stupeur et des manifestations qui
ont fleuri dans tout le pays, ce résultat témoigne de la
décomposition dun système politique, engagée
depuis quelques années déjà. Election de rejet, vote
de défoulement? Sûrement, lorsque 28,5% de lélectorat
sabstient et que 31% vote pour des extrémistes, de droite
et de gauche. Lexplication ne suffit pas. Les causes de ce tremblement
de terre se trouvent aussi dans le système de cohabitation, qui
paralyse les idées et réduit les différences. En
dirigeant leur campagne dans une perspective de deuxième tour,
Chirac et Jospin ont contribué à épaissir le flou
et à nourrir les réflexes protestataires.
Si la gauche sort de cette élection anéantie, cest
quelle na pas voulu résoudre sa crise didentité,
elle qui est tiraillée entre Porto Alegre et les privatisations.
Lélectorat populaire a sanctionné une gauche gestionnaire,
restée à mille lieues de ses préoccupations. Rarement
la cassure entre la classe politique gauche et droite confondues
et la population nest parue aussi évidente. Il est
cependant cruel que lexplosion de ce système politique à
bout de souffle entraîne la disparition dun Jospin, dont le
bilan était plus quhonorable et lhonnêteté
jamais mise en cause. Exclu injustement du deuxième tour, il lui
reste à se construire une mythologie digne dun Mendès
France.
Mais le principal enseignement de ce scrutin présidentiel tient
dabord dans la radiographie quil livre du système politique.
Ce «plébiscite» lepéniste, cest aussi
le rejet dune manière de faire de la politique. Cest
la faillite des sondages. Cest la faillite des conseillers en communication,
ces magiciens de lombre qui ont confisqué limage au
détriment du débat. Cest enfin la faillite dune
«théâtralisation» de la politique qui a fait
de la télévision une arme à double tranchant. Au-delà
des «Guignols», la médiatisation télévisuelle
a hissé lanecdote (la gifle de Bayrou) au rang de fait politique.
Lexploitation du thème sécuritaire par les chaînes
françaises a réduit lélection du chef de lEtat
à la désignation dun préfet de police. La plante
lepéniste plonge ses racines dans cette crétinisation du
politique.
La démocratie nest pas un jeu. Elle nest pas une version
électorale de «Loft Story». Pour lavoir oublié
, les Français se retrouvent aujourdhui avec un choix impossible
entre un président discrédité et un extrémiste
xénophobe. Triste et inquiétant.
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