ALPINISME
Traversée des Alpes

Un hommage aux pionniers

Le 9 février 2001, Patrick Berhault achevait, après cinq mois et demi, la traversée de l’arc alpin. Une aventure partagée, en partie, avec plusieurs illustres compagnons et comprenant l’ascension de 22 sommets mythiques. Le guide français présente le film de son aventure ce vendredi à Bulle.


23 octobre 2000: «Les Pieds Nickelés devant les Grandes Jorasses!» (C. Berhault)

Patrick Berhault, prince des exploits hivernaux, avait un projet fou: parcourir, d’une traite – et sans moyens mécaniques – les 1200 kilomètres (à vol d’oiseau) de l’arc alpin en franchissant 22 sommets mythiques par les voies historiques de l’alpinisme. Le rêve devint réalité le 28 août 2000 en Slovénie, au pied du Triglav, et aboutit le 9 février 2001, sur la plage de Menton. Soit 167 jours passés en montagne, 141683 mètres de dénivelé positif, 22280 mètres en paroi et la traversée de cinq pays, la Slovénie, l’Autriche, l’Italie, la Suisse et la France.
Par cette épopée, le guide français de 44 ans a voulu rendre hommage aux pionniers de l’exploration alpine. En effet, certaines des voies qu’il a gravies durant ces cinq mois et demi ont été ouvertes dans les années 1920-1930 par les plus grands noms de l’alpinisme. L’homme n’a pas couru après l’exploit. Sa quête avait plutôt pour objectif de démontrer que l’alpinisme, ce n’est pas seulement les Drus, les Grandes Jorasses ou l’Eiger sous l’objectif des caméras.

Avec d’illustres potes
«Plus qu’un sport, la montagne est pour moi un mode de vie», expliquait-il la semaine dernière par téléphone depuis La Turbie, en plein pays mentonnais. Son projet grandiose de traversée des Alpes, il l’a nourri pendant dix ans. Car même en autonomie quasi totale et en n’emportant que le strict minimum (mais sans oublier l’hippopotame fétiche!), il faut une certaine logistique. Ne serait-ce que pour rallier les points de départ des ascensions à pied, à peau de phoque ou à vélo.
Son aventure, Patrick Berhault l’a partagée – par bouts – avec plusieurs illustres compagnons de cordée. Avec Tomaz Humar d’abord, puis, c’est avec Patrick Edlinger, son pote de toujours, qu’il a enchaîné les grandes parois dolomitiques. Philippe Magnin l’a rejoint pour s’attaquer aux faces des Alpes (faces nord de l’Eiger, du Cervin et des Grandes Jorasses et face sud du Mont-Blanc). Son voyage s’est poursuivi en Vanoise en compagnie de Patrick Gabarrou, puis avec Gaël Bouquet des Chaux et Valérie Aumage. Après avoir gravi le Mont-Viso en solitaire, il a retrouvé quelques-uns de ses camarades pour la dernière ascension, celle du Marguareis, dans les Alpes ligures.

La règle du jeu
Parmi les moments d’ascension marquants, il cite la voie du Poisson – un chef-d’œuvre d’escalade – dans la Marmolada. «On a eu un orage démentiel à la sortie. La descente a été très dure.» Ou encore la face nord de l’Eiger, que la neige avait rendue extrêmement délicate. En effet, c’est aussi toute la difficulté d’une telle traversée: la règle du jeu dicte de s’adapter aux conditions du moment sans attendre une amélioration ou remettre à plus tard une ascension. «C’est ce qui a justement été intéressant, estime l’alpiniste. Mais je ne suis pas suicidaire. Jamais je ne me suis lancé dans une voie quand les dangers objectifs étaient importants. La montagne, c’est une histoire de nature. Il faut être à son écoute.»
Ce voyage alpin a aussi eu ses instants de grâce. Comme celui vécu lors d’une rencontre avec un berger ou au sommet du Corno Stella, l’ultime étape en solo. «Là, j’ai eu vraiment le sentiment d’être arrivé où je devais.»

«L’excellence discrète»
Malgré une carrière commencée il y a plus de vingt ans et riche de palmarès prestigieux, Patrick Berhault a choisi la voie de la discrétion. D’ailleurs son surnom, donné par Patrick Gabarrou (un autre illustre alpiniste), puis repris par toute la presse de montagne est «l’excellence discrète». Grimpeur familier du huitième degré, Patrick Berhault est, avec Patrick Edlinger, à la base de la naissance de l’escalade extrême à mains nues en France, à la fin des années septante. Il s’est ensuite tourné vers l’alpinisme engagé. Il a notamment réalisé une traversée hivernale du massif du Mont-Blanc par les faces nord ainsi que nombre de premières hivernales.
Mais, contrairement à d’autres «monstres» de l’alpinisme, Patrick Berhault n’a «qu’un seul» 8000 à son actif, le Shishapangma. «J’irai sans doute à nouveau dans l’Himalaya, mais les 8000 ne m’attirent pas plus que ça, déclare-t-il. J’ai des rêves dans des domaines très divers.» Quant à la Suisse, il avoue connaître peu ses sommets, à l’exception du Cervin, de l’Eiger et du Dolent.
Aujourd’hui, il est instructeur à l’Ecole nationale de ski et d’alpinisme, où il forme de futurs guides. Il est également membre du Groupe de haute montagne (GHM) et de l’association Mountain Wilderness. Des projets? Patrick Berhault en a, bien sûr, comme tout passionné de cimes. Mais il préfère ne pas en parler pour l’instant. Pour préserver sa liberté, dit celui qui ne souhaite pas courir après les sponsors. Et si c’était aussi un peu par superstition, comme tout alpiniste qui se respecte?

Bulle, aula du CO, vendredi 30 novembre à 19 h 30: film La grande cordée. Billets à la librairie du Vieux-Comté et Trango sport nature

 

Un film, un livre, une expo

Le film Comment raconter en film une odyssée de 167 jours? Entrer dans l’intimité de la vie en cordée? Comprendre les sentiments et les efforts vécus par les alpinistes? Réponse: en privilégiant les images prises par les alpinistes eux-mêmes grâce à une petite caméra. Ainsi, Patrick Berhault, Patrick Edlinger ou Philippe Magnin se sont transformés en reporters-acteurs des parois, ont cherché à capter – avec tendresse et humour – des moments intenses.
Bien sûr, tourner un plan tout en assurant, la corde entre les dents, son compagnon dans un passage exposé n’est pas vraiment évident… Cela ne permet pas non plus de tricher avec la qualité technique. Tant mieux pour les amoureux d’images brutes. Ces séquences «amateurs» ont été complétées par des scènes tournées par Christophe Delachat, guide et cameraman. En bref, «La grande cordée» est un film sans fioriture qui donne toute sa dimension à une aventure unique.

Le livre Durant toute sa traversée des Alpes, Patrick Berhault a tenu un journal, notant les dénivelés, racontant aussi bien les passages durs que les marmottes ou le grondement d’une avalanche. C’est donc la chronique de ces 167 jours que l’on retrouve dans «Encordé mais libre». Un ouvrage où l’alpiniste parle avant tout de ce qu’il aime, voit et respire. En lisant ses lignes, c’est un bout de son aventure que l’on suit et un peu de ses émotions qu’il partage. Les amoureux de cimes y trouveront de quoi rêver, c’est sûr.

L’exposition – Une série de photos de montagne est exposée au Collège du Sud, à Bulle, jusqu’au 10 décembre. Elle est visible du lundi au vendredi, de 7 h 30 à 17 h 30.

Florence Luy / 27 novembre 2001

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