GRUYÉRE Charmey

Ils tavillonnent en tandem

Depuis toujours, le métier de tavillonneur se conjugue au masculin. Avec son époux Vincent, Tania Gachet s’y adonne pourtant depuis trois ans. La montagne et ses traditions, l’Australienne connaît, elle qui a passé dix saisons sur l’alpage, avant de se retrouver à bûcheronner en forêt.


C’est un concours de circonstances qui a amené Tania Gachet de son Australie natale en Gruyère, où elle pratique désormais l’art du tavillon avec son époux Vincent

 

«Vous connaissez beaucoup de tavillonneuses?» questionne Tania Gachet. Pas vraiment, non… Hormis la Vaudoise Rachel Gusset, elles ne sont pas nombreuses à courir les alpages. De toute éternité, cet artisanat-là se conjugue plutôt au masculin! Cela fait pourtant trois ans maintenant que la jeune femme assiste son époux Vincent. Qui sourit: «Au départ, elle n’osait pas trop grimper sur les toits. Désormais, il n’y a plus de problème.»
Mais comment donc cette native d’Adélaïde, en Australie, se retrouve-t-elle, en cet après-midi orageux, sur le faîte d’une chapelle du Gros-Mont? Concours de circonstances. C’est en effet en Thaïlande que débute son aventure helvétique. Son chemin croise celui d’un routard, qui lui donne le numéro de téléphone de son ex-épouse en Suisse. «Au cas où», la jeune femme devant plus tard rejoindre l’Angleterre. «D’où je l’ai appelée alors qu’il ne me restait plus que cinq dollars en poche», se souvient-elle. Bonne inspiration: la femme lui trouve un travail. Tania remplacera un garde-génisses qui ne peut achever la saison. «C’est ainsi que je me suis retrouvée à garder 45 bêtes au-dessus de Neirivue.» C’était il y a dix-sept ans.

Elle bûcheronne
La vie sur la montagne lui convient si parfaitement qu’elle alpera dix étés durant. «J’ai appris à faire des tommes, puis du fromage… J’ai fait un peu les marchés… C’était nickel!» Même si les débuts ne sont pas faciles pour elle. La barrière des langues: «Je ne parlais pas un mot de français!» Et les agriculteurs n’entendaient pas grand-chose à son anglais maternel… Ils n’en finissaient pas moins par toujours se comprendre.
Après une décennie d’alpage, Tania participe à la mise sur pied d’une chèvrerie à Champoussin. Puis, après le passage de Lothar, elle passera deux ans à bûcheronner en forêt! «Et maintenant je me retrouve sur les toits. C’est moins difficile.» Pour changer de l’ordinaire, l’Australienne pratique par ailleurs, deux jours par semaine, des massages sur les chevaux.

Grâce à l’armée
Ce métier de tavillonneur, Vincent Gachet, ébéniste de formation, s’y consacre pour sa part depuis six ans. «Mon père travaille un peu dans le domaine et je lui donnais des coups de main de temps à autre… C’est comme cela que ça m’a pris.» Son premier chantier, c’est l’Armée suisse qui le lui confie. «J’ai refait les façades du chalet du Régiment, abîmées par Lothar, pour rattraper des jours de service. J’y avais échappé parce que j’étais parti travailler au Cameroun.»
En Afrique, Vincent Gachet a enseigné la menuiserie à des adolescents pour le compte d’une mission. «Je ne savais pas trop ce qui m’attendait, je n’avais jamais fait cela. Mais ça m’a tellement plu que je suis resté trois ans sans revenir au pays!» Des voyages, le Charmeysan en a fait bien d’autres. Népal, Zanskar, Birmanie… «Je partais tous les deux ans visiter un autre endroit, où j’essayais de travailler le bois.»
Sur le toit de la chapelle St-Jacques, surplombant le chalet du Jeu de quilles, Vincent retire un tavillon mal posé. Et sourit: «Zèzè Doutaz, avec qui j’ai travaillé, disait souvent: “Si tu ne démontes jamais, tu n’apprendras jamais!” C’est grâce à des gens comme lui que je fais ce métier.» Et qu’il perpétue la tradition, les anciens arrivant «gentiment» au terme de leur carrière. Une tradition qui se porte par ailleurs très bien, si l’on en croit Vincent Gachet: «De mieux en mieux, même. Le tavillon séduit de plus en plus de gens.» Si bien que l’ébéniste y consacre tout son temps, préparant dès la fin de l’automne les tavillons qui seront posés l’année suivante.
En cette fin d’après-midi, il est temps d’aller reprendre une poignée de chaud au chalet, où Vincent et Tania séjournent pour la durée du chantier. «Nous restons presque toujours sur place. C’est plus agréable. Et puis avec les trois chèvres que nous avons reçues à notre mariage, il y a une année, nous sommes un peu forcés!» Des biquettes qui offrent à la maîtresse de maison de pratiquer cet art appris voilà plus de dix ans: la fabrication de tommes. Qu’elle maîtrise ma foi encore fort bien!

Tout faux, l’abbé Bovet

«Murs blancs, toit de bardeaux…» Le couplet du célèbre chant de l’abbé Bovet comporte une erreur. Le compositeur aurait en effet dû écrire: toit de tavillons! Car ce sont deux choses bien différentes. Le bardeau est une planchette d’environ 60 cm de longueur, de 20 cm de largeur et de 10 à 15 mm d’épaisseur. Il se pose principalement sur les toitures à faible pente. Le tavillon que l’on trouve sur nos chalets d’alpage, pour sa part, est plus petit: de 42 à 45 cm de longueur, de 10 à 15 cm de largeur et de 5 à 7 mm d’épaisseur. Il convient mieux aux toitures à pente plus importantes, ainsi qu’aux revêtements de façades.

 

Patrick Pugin
12 août 2006

Une I Editorial I Gruyere I Veveyse/Glâne I Fribourg

Droits de reproduction et de diffusion réservés © La Gruyère 2003 – Usage strictement personnel