«Si
mon père nen avait pas décidé autrement,
jaurais maintenant un hôtel au bord de la Méditerranée»,
lance Hanni Schwab en éclatant de rire. Il faut reconnaître
que rien, mis à part la proximité des Trois Lacs, ne semblait
destiner la fille dun petit paysan de Chiètres à
se passionner pour la vie de ses lointains ancêtres. Pourtant,
pour comprendre sa trajectoire de vie, il faut se replonger dans la
conjoncture des années trente: «Depuis notre enfance, mes
cinq frère et surs et moi avons été habitués
à travailler aux champs. Le contact avec la terre ne ma
donc jamais rebutée», explique-t-elle, les mains posées
à plat sur son bureau.
Alémanique et protestante, la jeune femme doit demblée
se battre pour trouver sa place dans le Fribourg francophone et conservateur
daprès-guerre. Grâce à une volonté
inébranlable, la jeune femme parvient à concilier travail
et études universitaires à Berne. Nous sommes en 1962
et Hanni Schwab, qui na pas encore fini sa licence, est engagée
comme archéologue responsable de la deuxième Correction
des eaux du Jura (CEJ). Des travaux dassainissement des berges
qui avaient fait baisser les lacs de Morat, Bienne et Neuchâtel
au même niveau quà lâge du bronze.
Les importants vestiges mis au jour sur le territoire de cinq cantons
obligent alors la Lacoise à collaborer avec chacun des services
archéologiques concernés.
50
francs par an
«Jai été engagée par les autorités
fribourgeoises parce que je ne leur coûtais rien!» se souvient
Hanni Schwab. Même si le Service archéologique cantonal
(SAC) nexiste pas encore, Fribourg nomme Hanni Schwab à
sa tête avec un salaire annuel de 50 francs! Toutes les fouilles
quelle entreprend alors se font grâce au travail quasi bénévole
des étudiants et des écoliers en vacances dans la région
des Trois Lacs. Ce nest que cinq ans plus tard quun budget
annuel de 25000 francs lui est finalement alloué. Cette manne
cantonale permet alors la mise sur pied des premières structures
du SAC. «Jai dû batailler ferme pour engager mon premier
collaborateur à plein temps», se souvient-elle. «Métant
rendu compte que les vestiges exposés au Musée dart
et dhistoire se dégradaient à vue dil,
jai écrit au Conseil dEtat que je nassumais
plus la responsabilité de la collection si lon ne maccordait
pas un poste de restaurateur.» Pourtant, la combativité
nest rien sans de bonnes relations au niveau politique.
Relations
politiques
En 1971, pour rendre service à la section lacoise du PDC, larchéologue
est lune des premières femmes à se faire élire
au Grand Conseil fribourgeois. Si elle accepte un second mandat cinq
ans plus tard, cest parce quelle se rend compte du bénéfice
quelle peut en retirer pour défendre sa profession. «Au
début de ma première législature, un entrepreneur
de Marly sest mis à critiquer le crédit destiné
au SAC. Le lendemain, je lui ai apporté les factures des entrepreneurs
qui nous mettaient des machines de chantier à disposition. Il
a immédiatement compris que sa critique le desservait! Le contact
direct avec les députés ma beaucoup aidée»,
reconnaît-elle aujourdhui.
En 1974, le SAC, qui compte désormais huit collaborateurs, sinstalle
à Gambach dans lancien Hôpital cantonal, «sans
que cela ne coûte quoi que ce soit à lEtat, précise-t-elle.
Même les meubles étaient de la récupération.»
Ce déménagement coïncide avec le début des
fouilles sur le tracé de la future A12. Financé à
90% par la Confédération, ce chantier va permettre à
Hanni Schwab de mettre enfin sur pied un service archéologique
à la hauteur des besoins du canton.
«Avec le recul, je me dis que je nai pas profité
suffisamment de la manne fédérale», regrette-t-elle.
Larrêté du Conseil fédéral prévoyait
que 2% du coût des autoroutes pouvait être attribué
aux fouilles. En Gruyère, notre travail na pas dépassé
0,6% de lenveloppe globale! Si je compare à ce quont
reçu les Neuchâtelois...» Malgré leur relative
modestie, les montants reçus de Berne vont indirectement permettre
la découverte de plusieurs sites dimportance supra-régionale.
Les occupations littorales de Portalban et de Montilier ou lhabitat
fortifié de Posieux/Châtillon-sur-Glâne vont attirer
lattention de toute lEurope. En outre, consciente des limites
financières du canton, la Lacoise a toujours su frapper à
la bonne porte pour obtenir les subventions nécessaires à
ses fouilles. Le Fonds national de la recherche scientifique, lOffice
fédéral de la culture et la Loterie romande ont dailleurs
souvent répondu positivement à ses requêtes.
Pas
de retraite
En 1988, à lheure de prendre sa retraite, la réputation
dHanni Schwab a largement dépassé les frontières
cantonales. Auteure de 140 publications sur la période allant
de la préhistoire au Moyen Age, elle a donné des conférences
dans plusieurs universités européennes. Professeure titulaire
à lUniversité de Fribourg depuis 1980, elle continue
à y enseigner jusquà sa septantième année.
Pourtant, dix ans plus tard, la retraite na pas la même
signification pour elle que pour la majorité de ses contemporains.
«Lorsque jétais simultanément archéologue
de la deuxième Correction des eaux du Jura et cheffe du SAC,
je nai jamais eu le temps nécessaire pour présenter
en détail le résultat de mes recherches», explique
cette passionnée. Aujourdhui, elle prépare le cinquième
volume de la série consacrée à la deuxième
CEJ et qui sintitulera le Moyen Age sur la Broye et la Thielle.
«Quand je repense à la découverte du pont celtique
de Cornaux (NE), je me dis que jai vécu une période
extraordinaire», lâche- t-elle gagnée par lémotion.
Je nen veux même plus à mon père de ne pas
mavoir laissée partir vivre sur les bords de la Méditerranée!»