ÉDITORIAL

Jean-Marie Messier
Le règne du vent

La chute de Jean-Marie Messier est devenue une affaire d’Etat. Le flamboyant patron de Videndi Universal a explosé en plein vol, nouvel Icare de la nouvelle économie. L’échec retentissant de Messier ne ravirait que les amateurs de papier glacé si cette trajectoire n’était pas révélatrice d’une machine économique entrée en pleine démence.
Le patron de Vivendi illustre jusqu’à la caricature cette
économie qualifiée de nouvelle, et dont on mesure progressivement qu’elle n’est qu’une version mondialisée du Monopoly.
Point commun entre Vivendi, Enron, Xerox ou WorldCom? Ces entreprises, au cœur d’un gigantesque krach boursier, sont de puissantes machines dont le carburant n’est pas l’innovation ou la production de richesses mais la promesse de parts de marché issues du rachat de concurrents. Ces entreprises n’existent pas pour la qualité de leurs produits ou la compétence de leurs collaborateurs. Leur réalité est virtuelle et boursière. Seules comptent la courbe de leurs actions et leurs performances comptables. C’est le triomphe du mensonge et du factice. C’est le règne des «hedge funds», ces manipulateurs de capitaux qui placent d’importantes sommes empruntées pour réaliser une considérable plus-value avant même d’avoir remboursé. Le fabuleux talent de Messier a été de faire croire à tout le monde qu’acheter et vendre du vent pouvait rapporter gros.
Ce système d’artifices se nourrissait d’illusions. Icône de cette réussite, Messier a donné à Paris l’impression qu’elle pouvait racheter Hollywood. Mais comme dans les rares bons films américains, la fin s’annonce prématurée et tragique. Depuis plusieurs mois, les valeurs de la nouvelle économie s’effondrent. Indice emblématique, le CAC 40 a chuté de 45% en vingt mois, soit 750 milliards de francs suisses partis en fumée… Prises dans une spirale infernale, ces entreprises tentent de redresser la barre en trafiquant les comptes, en camouflant des dettes, en gonflant les cash-flows. Priorité absolue: faire croire aux boursicoteurs que l’embellie sera sans fin. Pour avoir joué avec le feu, les marchés se sont brûlé les doigts. Les titres de France Télécom ont fondu de 80% en une année, ceux de Videndi de 75% depuis janvier. On découvre alors que tout ou presque, dans cet étrange monde de la communication, était faux.
Seule consolation: le réel prend sa revanche sur l’apparence. Cela n’apportera par un centime de plus aux milliers de personnes licenciées, victimes de la folie boursière. Jean-Marie Messier, lui, quitte son groupe avec 18 millions de francs en poche. Un détail.

Patrice Borcard / 4 juillet 2002

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