Après Raymond
Barre, Helmut Kohl ou Bronislaw Geremek, lan dernier, la Journée
de lEurope de lUniversité de Fribourg accueille cette
année Boutros Boutros-Ghali. LEgyptien, ancien secrétaire
général de lONU, est resté très impliqué
dans les affaires internationales. A travers son activité à
la tête de la francophonie, dune part, mais aussi par ses
prises de position ou sa participation aux grandes réunions internationales.
Un livre dentretiens qui vient de paraître, Démocratiser
la mondialisation, atteste de son intérêt constant pour
les grandes affaires du monde. Depuis le milieu des années quarante,
Boutros Boutros-Ghali a fait du droit international son terrain détudes
et dactivités favori. Riche dune expérience
acquise tant dans ses activités politiques en Egypte que lors
de son passage à lONU, il vient, en cette fin daprès-midi,
apporter son éclairage sur lEurope.
A lONU
dès 1992
Né en 1922 au Caire, Boutros Boutros-Ghali se spécialise
très tôt dans les questions de relations internationales
avec une thèse portant sur les ententes régionales. Dès
le début des années cinquante, il se met à enseigner
le droit international. En Egypte dabord, puis aux Etats-Unis
et en Europe. En 1954, lors de son premier voyage aux Etats-Unis, il
entre en contact avec les Nations Unies. Il hésite déjà
à entreprendre une carrière onusienne. Mais lappel
de son Egypte natale est plus fort. Il sy engage tous azimuts
à travers articles de presse et enseignement. Il suit de près
lévolution des institutions internationales africaines
et arabes, telles la Ligue arabe ou lOrganisation de lunité
africaine.
Cest en 1977 que démarre véritablement sa carrière
politique. Il devient ministre égyptien des affaires étrangères.
Il est lun des artisans des accords de Camp David entre lEgypte
et lIsraël. En 1987, il est élu au Parlement égyptien
et il devient en 1991 vice-premier ministre égyptien chargé
des affaires étrangères. En 1992, il accède au
poste de secrétaire général de lONU.
Les entretiens qui constituent Démocratiser la mondialisation
suivent litinéraire de sa vie, en accordant une large place
aux années passées à lONU. Un passage qui
aura été marqué par trois lignes directrices, constate-t-il:
«La paix, et la nécessité de mettre en place une
véritable diplomatie préventive; le développement,
et la nécessité de réduire le fossé qui
continue de sélargir entre le Nord et le Sud; la démocratisation,
et la nécessité de promouvoir la démocratie, tant
à lintérieur des Etats que dans les relations entre
Etats, en dautres termes, la nécessité de démocratiser
la mondialisation avant que la mondialisation ne dénature la
démocratie.»
Ces trois lignes directrices ont été exprimées
dans lAgenda pour la paix, lAgenda pour le développement
et lAgenda pour la démocratisation. Un troisième
agenda, remarque-t-il, qui a été «évacué
une semaine après mon départ des Nations Unies».
Les maîtres
du monde
Avec la difficulté de réformer les structures des Nations
Unies, cet abandon de lAgenda pour la démocratisation fait
partie des déceptions de Boutros Boutros-Ghali. Présenté
en 1996, à la fin de son mandat, cet Agenda tombait dans un contexte
qui lui était devenu hostile. Les Etats-Unis en étaient
en effet venus à ne plus supporter les idées de lEgyptien
qui ne voulait pas se contenter dêtre le bras de Washington.
Plusieurs aspects lavaient rendu définitivement insupportable
aux yeux du pouvoir américain. Son insistance, dabord,
pour le règlement démocratique des questions internationales,
à un moment où les Etats-Unis pensaient surtout à
tirer profit de la fin de la Guerre froide. Mais aussi sa volonté
de réformer certains aspects de lONU, et pas les mêmes
que le Gouvernement américain, de même que son soutien
aux pays en développement, parfois contre lintérêt
des grandes puissances. Fin 1996, Boutros Boutros-Ghali quitte le Secrétariat
général de lONU. Il devient secrétaire général
de lOrganisation internationale de la francophonie en 1997. Démocratiser
la mondialisation sinscrit dans la droite ligne de lAgenda
pour la démocratisation. Et son dernier chapitre, consacré
aux conséquences des attentats du 11 septembre dans la diplomatie
internationale, met en lumière les points cruciaux qui détermineront
le travail pour la paix dans les années à venir. Le rôle
des Etats-Unis néchappe pas à lancien secrétaire
général de lONU: «Si les Etats-Unis sont amenés
à abandonner durablement leur politique unilatéraliste
et leur attitude néo-isolationniste, au profit dune politique
véritablement multilatérale, alors on peut considérer
que lONU sera à même de jouer un rôle nouveau
à léchelle planétaire.» Mais on nen
est pas là, si lon en croit Boutros Boutros-Ghali. «Les
événements du 11 septembre 2001 ont amené, dans
un premier temps, les Etats-Unis à vouloir mener une politique
multilatérale dans le cadre de lONU, mais laction
unilatérale a tôt fait de reprendre le dessus, effaçant
du même coup lespoir naissant dune démocratisation
de la mondialisation.»
Israël-Palestine
Démocratiser la mondialisation a été publié
en janvier. Boutros Boutros-Ghali y exposait les deux problèmes
urgents qui se présentaient à la communauté internationale:
la reconstruction de lAfghanistan et «le règlement
définitif du conflit israélo-palestinien». Force
est de constater que lon est loin du compte dans le second cas.
Un problème qui apparaît comme une clé de lavenir
du monde: «La question israélo-palestinienne va continuer
à polluer, à envenimer, à détruire les rapports
entre le monde arabo-musulman et le monde occidental.» Il faudra
donc compter sur la sagesse américaine.
Charly
Veuthey /
16 avril 2002