Commentaire
Prix de l’Agriculture

Casse-tête helvétique

Coop était pourtant prévenu. L’Union des producteurs suisses (UPS) avait décoché sa première banderille le 24 octobre dernier. Ce jour-là, une centaine d’agriculteurs manifestaient calmement dans un supercentre du groupe, à Neuchâtel. En cause déjà, les déclarations du responsable des achats du grand distributeur, Felix Wehrle, annonçant une baisse de 20% sur les produits agricoles frais d’ici 2005. «Scandaleux», «injuste», «profondément méprisant envers ceux qui travaillent la terre»… L’UPS n’avait alors pas manqué de qualificatifs pour fustiger les intentions du géant bâlois. Au terme de ce premier bras de fer, le syndicat paysan avait obtenu de Coop un entretien avec ses responsables. Lors de cette rencontre, l’UPS était restée ferme. Elle demandait au groupe de se prononcer sur un prix-cible du lait à 80 ct. (77 actuellement), qu’il réintègre les interprofessions et qu’il revoit sa position quant aux prix payés à la production. Après deux semaines de réflexion, Coop campait sur ses positions. C’est le marché qui commande, arguait-on en substance. Petite séance de calcul. Selon le rapport agricole 2000 de l’Office fédéral de l’agriculture (OFAG), le prix à la production a chuté de 19%, le prix à la consommation de 4%. Pas besoin de s’appeler Einstein pour constater la différence. Dans quelles poches finissent ces 15%? Mystère. Ce qui est certain, c’est que le revenu paysan stagne, quand il ne baisse pas. Autre certitude, les chiffres officiels de Coop: en 1999, le groupe a réalisé un chiffre d’affaires de détail de 11,65 milliards, soit 483 millions de plus qu’en 1998 (+ 4,3%)! De là à dire que le géant bâlois ne répercute pas les baisses sur ses prix en magasin, il n’y a qu’un pas. Que certains – Fernand Cuche en tête – n’hésitent d’ailleurs pas à franchir. Le groupe lui-même avouait en novembre n’envisager réduire ses marges qu’à «moyen-long terme»… Mais les membres de l’UPS ne se laisseront pas dévorer sans lutter. Des opérations comme celles d’hier à Fribourg et Givisiez pourraient se multiplier si on n’arrive pas à un compromis acceptable par tous. On peut considérer que les paysans ont remporté une manche hier: mise sous pression, la direction de Coop a finalement cédé et accepté une nouvelle rencontre en janvier. Bien malin qui pourra dire ce qu’il en ressortira. Mais comme le souligne le rapport de l’OFAG, «l’avenir sera toujours plus porteur d’un conflit d’intérêts entre le développement du revenu agricole et la nécessité d’améliorer la compétitivité afin que l’agriculture suisse puisse conserver ses parts de marché». La Suisse a trouvé son casse-tête: la libéralisation de l’agriculture.

Patrick Pugin / 19 décembre 2000

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