Augustin
Macheret et les Langues
«On
a besoin de flexibilité»
A
lapproche de la votation du 24 septembre, Augustin Macheret explique
les promesses de lenseignement de la «langue partenaire»: un projet
douverture, qui a besoin de flexibilité, face à un discours «passéiste»
et «idéologique». Les Fribourgeois francophones nont rien à craindre
pour leur identité culturelle, assure le directeur de lInstruction
publique.
«Je
regrette quon dise un peu nimporte quoi pour couler ce projet»
(C. Dutoit)
Améliorer lapprentissage
de la deuxième langue: pourquoi ny avoir pas pensé plus tôt?
Le débat est lancé, de façon continue, depuis bientôt dix ans. Ce quon
nous a demandé, notamment au Grand Conseil, cest une conception générale.
Il a fallu du temps et du monde pour la mettre sur pied.
Mais lon constate
depuis bien plus de dix ans que lenseignement de lallemand aux francophones
est insatisfaisant!
Il était temps que nous prenions des initiatives dans ce domaine. Dès
que je suis entré en fonction ici, jai été saisi, comme mon prédécesseur,
de demandes de parents, dassociations de parents, dautorités scolaires,
ainsi que de postulats et de motions. Tout cela a été voté au Grand Conseil.
Je regrette que nous prenions déjà du retard dans la réalisation.
Faut-il considérer
que cette conception et cette révision de loi sont les seuls moyens datteindre
cette amélioration?
Les meilleurs spécialistes et observateurs constatent quen dépit de très
gros moyens engagés dans la plupart de nos cantons pour enseigner les
langues nationales et dautres langues, les résultats sont modestes. Toutes
les recherches que nous avons faites ont confirmé quil y a lieu dintroduire
dans notre système denseignement la sensibilisation précoce aux langues.
Il est établi que cest entre 3 et 7 ans que lenfant possède un potentiel
extraordinaire dapprentissage. Nous estimons quil est de la responsabilité
de lécole de valoriser ce trésor qui ne la pas été jusquici. Le deuxième
principe, cest limmersion partielle: une langue étran-gère ne doit pas
être simplement considérée comme une langue enseignée mais aussi comme
un instrument de communication active. Je vois mal quon puisse prétendre
améliorer lapprentissage des langues dans notre canton en fermant les
yeux sur les données actuelles de la pédagogie des langues.
Avec les âges
que vous citez pour lapprentissage précoce, la scolarité obligatoire
nintervient-elle pas trop tard?
Dans un certain sens, vous avez raison. Mais nous avons la responsabilité
de lenfant dès lécole enfantine, et il faut au moins que nous lassumions
correctement. Cest ce que nous avons voulu faire en appuyant et en encadrant
la dizaine de projets pilote qui ont cours dans le canton.
Si la loi est
refusée, ces projets qui ne sont pas conformes à la loi actuelle seront-ils
abandonnés?
Je vois mal les cercles scolaires qui se sont engagés se voir interdire
la sensibilisation précoce, se voir priver de toute possibilité dimmersion.
Je pense quil faudrait quand même en tirer les conséquences. Il y a fort
à parier que des communes, des cercles scolaires vont continuer à aller
de lavant, mais nous ne pourrons plus les soutenir financièrement. On
se trouvera dans une situation politique très difficile. Il est presque
certain que le secteur privé va ouvrir ce domaine et il aura un bel avenir
Ne craignez-vous
pas que la charge financière ne conduise petit à petit le Gouvernement
ou les communes à vous lâcher et vous oblige à appliquer le projet au
rabais?
Nos finances publiques sont encore dans une situation diffi-cile. Mais
il y a une volonté politique très clairement exprimée au Conseil dEtat
et au Grand Conseil. On nous le reconnaît bien au-delà du canton de Fribourg,
et beaucoup de mes homologues suivent notre débat de très près. Ils sont
inquiets à lidée que le canton dont on attend un signe positif donne
un signe inverse. On paiera très cher ce signe négatif, sous langle du
chômage et de lattrait du canton. Nous avons encouragé des initiatives
qui ne sont pas celles du directeur de lInstruction publique mais qui
sont venues de la base. Il faut maintenant quon puisse sortir de cette
phase dexpérimentation et asseoir cette réforme sur des bases légales
claires. Je suis pour la transparence. Jai des collègues dautres cantons
qui me disent: «Tu tes fait trop de souci, nous allons modifier nos plans
détudes sans modifier la loi.»
Mais nous sommes
le seul canton à avoir le principe de territorialité des langues dans
la Constitution: cest ce qui vous différencie peut-être de vos collègues
Oui, on a inscrit ce principe. On a aussi inscrit un deuxième principe,
le devoir fait à lEtat de promouvoir les relations et le rapprochement
des deux communautés. Et nous avons maintenant un article qui va exactement
dans le même sens dans la Constitution fédérale. Les principes constitutionnels
ne sont pas absolus: ils sont reconnus sous certaines réserves. Des aménagements
pourront leur être apportés, pour autant quils soient postulés par un
intérêt public pertinent et que la mesure envisagée demeure proportionnée.
Cest le cas avec le modeste aménagement que nous apportons. Mais on nous
a fait dire nimporte quoi à cet égard: dans son Eins... Zwei!, M. Clerc
parle de 10 à 90% dimmersion, alors que nous navons jamais articulé
de pourcentage au-delà de 15%. Ces pourcentages pourront varier selon
les degrés, et même en cours dannée. Mais avec ce 10-15%, à lévidence
nous ne mettons pas en cause le principe de territorialité.
La connaissance
et la maîtrise de la langue maternelle ne risquent-elles pas dêtre affaiblies?
Ça, cest un discours qui est vieux. Lorsquon a voulu introduire lallemand
à lécole primaire, au début des années 1970, on nous a servi exactement
le même discours. Depuis lors, les expériences rassemblées sont totalement
rassurantes. Avec 10 à 15% dimmersion, la langue maternelle restera tellement
prédominante quelle ne sera nullement menacée. Les analyses faites en
Suisse, notamment à lIRDP [n.d.l.r.: Institut romand de recherche pédagogique],
ont apporté la preuve que la familiarisation dune autre langue finit
aussi par vous donner une meilleure perception de votre propre langue.
Et la langue maternelle, dans la grille-horaire fribourgeoise, est de
loin la mieux servie en comparaison intercantonale!
Au niveau primaire,
limmersion nest-elle pas un peu un grand mot? Lenseignant francophone
ne sera-t-il pas tenté, souvent, de retomber dans sa langue maternelle?
Ce nest pas à exclure, mais dans le domaine de lenseignement
que jai pratiqué pendant vingt ans on a toujours besoin dun peu de
flexibilité. Finalement, cest le résultat à atteindre qui compte. Nous
savons pouvoir compter sur un certain contingent denseignants qui ont
le profil souhaité, ou sur les échanges entre cercles scolaires tels quils
se pratiquent à Charmey-Bellegarde, Marly-Guin, et dans le Lac. Ce qui
est clair, et que certains enseignants nont pas compris, cest que personne
ne sera forcé à enseigner dans la langue partenaire.
Vous avez effectivement
toujours dit que vous mèneriez lapplication de votre projet avec les
enseignants, mais ils ont lair dy être largement opposés?
Bon, ce nest pas lenthousiasme général, je le sais. Nous avons cependant
des contacts avec beaucoup denseignants qui sont partants, mais ils ne
vont pas le dire lors de la Landsgemeinde annuelle de juin
Le nouveau système
nest-il pas problématique pour les enfants étrangers?
Là-dessus, il y a beaucoup didées reçues. Il est généralement établi
ce nest pas moi qui linvente que lamélioration de lapprentissage
des langues est valorisante pour les allophones. Ils sont déjà immergés
dans la langue officielle et néprouvent souvent pas grande difficulté
à se sensibiliser à la langue 2. Cest parfois une des rares disciplines
où ces allophones se trouvent valorisés. Il y a bien sûr des contre-exemples.
Mais cest une question de foi: des pédagogues qui nont jamais travaillé
selon ces méthodes ne peuvent pas imaginer la différence avec ce quils
ont connu en leur temps.
Risquez-vous
un pronostic pour le 24 septembre?
Non, je ne veux pas my aventurer. Je ne mindigne pas quon ait fait
usage du référendum. Mais je regrette quon dise un peu nimporte quoi
pour couler ce projet, notamment sur laspect financier. Quant au discours
pédagogique tenu à son sujet, il est très passéiste.
Si le résultat
était très différent dun côté et de lautre de la Sarine, et quun appui
massif des Alémaniques impose la loi à des francophones en majorité opposés,
craindriez-vous des tensions?
Naturellement, ce ne serait pas agréable. Mais il faut que les francophones
fassent un vote de confiance dans lavenir de ce canton. Cest un projet
douverture. Je nai aucun souci pour lidentité culturelle des Fribourgeois:
cest sous-estimer lenracinement dans une culture que de penser quils
puissent être sérieusement menacés. Cela me paraît assez aberrant, alors
jen viens à dire quil y a une idéologie là derrière.
Propos
recueillis par
Antoine Geinoz /
7 septembre 2000
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