Editorial
Premier Août

En finir avec la nation?

Quel est le sens de ce 1er Août 2000, symboliquement situé entre deux siècles et deux millénaires? La Fête nationale s’apprête à relancer ses rites, ses discours et ses feux, qui font, cette année (voir notre article en page 5), dans l’artifice. Inévitablement les orateurs parleront nation, patrie, Etat. Ils ne pourront éviter d’évoquer la lente et imperceptible évolution de leur sens. Car il n’y a qu’à voir les difficultés rencontrées par les communes dans l’organisation de leur fête, la désertion des sociétés locales ou la maigre mobilisation des «patriotes» pour mesurer le désintérêt qui touche ces notions. Les 1er Août permettent cette indispensable radiographie d’une conscience nationale en pleine métamorphose. S’imposent alors des questions simples: qu’est-ce qu’une nation? que faire de la patrie? A voir la France se disputer autour des concessions octroyées aux Corses, à regarder l’Espagne subir la violence des indépendantistes basques, à suivre l’Angleterre dans son dialogue avec l’Ecosse ou l’Ulster, on mesure l’étendue de la remise en cause. Les Etats-nations sont dans le cœur du cyclone «mondialisateur», les patries semblent se noyer dans l’océan de l’intégration européenne. On a parfois tendance à considérer la conscience nationale comme une réalité immuable, venue du fond des temps. A tort. Ce patriotisme, cette idée d’appartenir à une communauté de destin, ces identités nationales ne sont pas nés du hasard: ce sont de véritables constructions qui ont pour charpente une langue, une histoire, un folklore, des paysages, des héros. Et il fallut presque deux siècles pour que les pays européens parviennent à coaguler ces sentiments nationaux. Depuis une décennie pourtant, la Suisse, à l’image de ses voisins, vit avec l’impression d’une lente érosion de cette identité. A l’évidence, celle-ci traverse une crise majeure, nourrie par la mondialisation, les nouvelles technologies de la communication, la construction européenne. L’Etat, dans son organisation même, n’échappe pas à cette révolution. Ce qui fut longtemps le signe de son autorité disparaît. Le pouvoir de ses entreprises, les règles de sa justice, ses moyens de défense militaire: par pans entiers, sa puissance semble lui échapper, aspirée vers un niveau supérieur. Et la Suisse a beau se tenir à distance respectable de l’intégration européenne, elle n’échappe pas à ce transfert de pouvoir. Or, plus la globalisation impose ses règles, plus elle uniformise, et plus les régions tendent à affirmer leurs originalités. Tiraillée entre le grand ensemble, anonyme, de l’Europe et des réalités régionales plus affectives, la nation ne sait plus à quel saint se vouer. La Suisse vogue ainsi au milieu du gué. Sa propre histoire, ces sept siècles de coexistence politique entre des nations culturelles différentes, le prouve: une nation n’est jamais acquise. Ernest Renan l’a résumé d’une belle formule: «L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours.»

Patrice Borcard / 29 juillet 2000
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