GRUYÈRE Truffiers gruériens

Patou et Espa, truffes en émoi

Piqués par le virus de la truffe voilà six ans, Anne-Catherine Déglise et Jacques Güntensperger cavent automne et hiver entre Sarine et Gruyère. C’est-à-dire qu’ils partent à la cueillette du précieux tubercule. Balade en compagnie du couple de Pont-la-Ville, dans le sillage de Patou et Espa, chiens truffiers hors pair.

Il aura fallu beaucoup de patience à Anne-Catherine Déglise et Jacques Güntensperger pour dresser leurs chiens truffiers

 

«Tu vas en Australie Patou?» lance Anne-Catherine Déglise à son chien. L’arrière-train cambré au-dessus du trou qui s’agrandit au rythme frénétique de ses pattes avant, le truffier paraît faire de l’apnée. Le museau profondément enfoui dans le sol, il arrache une racine d’un coup de mâchoire, s’obstine, puis lâche un grognement comme un soupir. Pour la première fois de cette balade en Sarine, en ce mardi après-midi aux couleurs automnales, le chien truffier de 16 mois ne déniche rien. Malgré le concours de sa mère, Espa, 5 ans, passée maître dans la recherche du précieux tubercule.
«C’est bien mon Patounet», le félicite malgré tout Anne-Catherine Déglise. Et joignant le geste à la parole, elle extirpe de sa poche une rondelle de cervelas. Il faut dire que 200 grammes de truffes parfument déjà la doublure de sa veste. Et puis, comment résister aux quatre pupilles, couleur miel et marron foncé, qui la fixent avec avidité? Expression vive, truffe frémissante, oreilles frisottantes et corps ramassé, musclé, toujours prêt a bondir: autant de caractéristiques du Lagotto Romagnolo – seule race canine pure spécialisée dans la recherche des truffes.
Pliée en deux au-dessus du trou, l’enseignante en mathématiques et en biologie a tout juste le temps de remettre la terre en place – «pour protéger les racines parce que c’est un champignon mychorhizien qui a besoin d’elles pour se développer» – avant de partir en flèche à la suite de Patou qui fait déjà mine de creuser un peu plus loin. La promenade des caveurs n’a rien d’une sinécure!

Odorat puissance 52
«Un vrai bulldozer», commente Jacques Güntensperger en contemplant Patou qui se démène. Mis au parfum dès la naissance par sa mère qui les lui régurgitait, le jeune chien raffole des truffes. Il faut être leste pour les cueillir sous son nez avant qu’il n’en fasse qu’une bouchée: «On n’est pas des pros! Il y a des gens qui dressent leurs chiens au retour. Nous on se contente de les suivre», plaisante Anne-Catherine en recueillant délicatement au creux de sa main une truffe mésentérique, petite et très parfumée. «Sur les spaghetti, c’est délicieux…»

Truffe creuse en pâture
Toute à sa future recette de pâte ou de terrine Anne-Catherine n’aperçoit pas Patou qui secoue la tête comme à chaque fois qu’il est sur une piste. Autres indices qui mettraient la puce à l’oreille à un caveur averti: un chêne et des hêtres à proximité, de la terre noire, souple et légère, et, plus discrète, une mouche orange verdâtre reconnaissable à son vol lourd. Mais le Lagotto se moque bien des mouches qui pondent leurs œufs sur les truffes. Son odorat, 52 fois plus développé que celui de ses maîtres, lui suffit.
Et une tuber excavatum d’avalée, une! «Pas grave, note Anne-Catherine, incollable en matière de noms de champignons et de fleurs en latin. C’était une truffe de chien, pas bonne pour la cuisine.» Patou s’en lèche encore les babines, l’œil malicieux, la moustache terreuse et une feuille morte collée à la joue. Après un petit détour par une flaque pour une lapée revigorante, le voilà reparti, sautillant, sur les traces d’Espa, plus discrète dans sa quête mais tout aussi efficace. «Quand elle s’y met, c’est un aspirateur», glisse son maître.
La truffière de cinq ans, au sommet de son art, paraît goûter le compliment. En trois coups de pattes et un coup de museau, elle déterre une splendide truffe de Bourgogne de près de 30 grammes. Toute fière, avec ses taches marron qui lui font comme deux yeux au beurre noir, elle surveille son butin. De quoi régaler quatre ou cinq convives semble se dire Anne-Catherine en glissant le champignon dans sa poche, où son parfum subtil se mêle à celui plus prononcé de la mésentérique.

Juste pour le plaisir
Car pour Anne-Catherine et Jacques, caver rime avec savourer et partager et non avec faire du blé. «Je suis déjà dans les affaires le reste de l’année. Alors même si les truffes peuvent atteindre des prix astronomiques, je ne veux pas risquer de gâcher mon plaisir en y mêlant l’argent», confie le patron de Bureau Complet, qui a ramassé 36 kilos de truffes l’an passé avec sa complice. Le tapis de feuilles mortes se déroule sous les pas du sexagénaire et de la tout juste quinquagénaire qui avancent maintenant au même rythme, tandis que leurs deux chiens s’amusent le long du chemin.
«Patou, Espa, retour, lance Anne-Catherine à ses chiens qui aboient tout à coup au bout du chemin. On ne va pas faire peur à la dame!» Demi-tour sur les chapeaux de roue et mise en laisse immédiate: la voie est libre pour la promeneuse. Pas question pour Anne-Catherine de badiner avec la sécurité, elle qui avoue avoir peur des chiens. Et qui pousse encore le paradoxe en ajoutant: «Je ne suis pas très chien…»

Milou, les oreilles en moins
C’est que les Lagotti ont ce côté Milou qui les rend si attachants. Mais n’allez surtout pas le dire à leur maîtresse: «J’aime pas cette comparaison. Et puis, ils n’ont pas les oreilles pointues…» C’est vrai, mais lorsqu’ils branlent la tête d’un air entendu juste avant de déterrer leur proie, lorsqu’ils s’agrippent au pantalon de leur maître, affichant une espèce de sourire coquin pour mieux lui grappiller ses dernières croquettes et lorsqu’ils rejoignent leur cage, bleue ou blanche, à l’arrière du véhicule tout terrain, l’air satisfait de leur chasse, Hergé aurait certainement trouvé matière à remplir leurs bulles.

En faire un fin truffier

L’éducation d’un chasseur de truffes passe par quatre étapes.
— A l’âge de deux trois mois, il est important d’habituer le chiot à chercher un jouet (peluche ou chaussette) imbibé d’huile de truffe. Jouer avec lui en l’habituant au mot «cherche» et au parfum de la truffe, d’abord dans la maison, puis dans le jardin, en le jetant sous ses yeux, puis en le dissimulant.
— Deuxième étape: adapter ces mêmes jeux à la promenade quotidienne en utilisant par exemple une chaussette ou une bouteille en plastique pour le lancer de jouet truffé. Pour la cache dans la terre, on peut utiliser de très petits sacs en plastique troués avec un morceau de papier ménage imbibé d’huile de truffe à l’intérieur, que l’on enterre toujours plus profondément. Les félicitations et les récompenses sont très importantes à ce stade.
— Troisième étape: celle du jeu avec de vraies truffes, qui demande le plus de travail. Il faut enterrer des truffes, un jour à l’avance, sur le parcours de la balade, pour que l’odeur corporelle ait le temps de disparaître et que le parfum de la truffe imprègne bien la terre alentours. Ne pas oublier de marquer ces emplacements d’une branchette, d’un caillou ou d’une paille de couleur. Et de féliciter et récompenser chaque trouvaille.
— L’étape finale est souvent la plus difficile, car il faut pouvoir aller dans un endroit que l’on sait propice aux truffes et faire confiance au chien. Et s’il n’en trouve pas aussi aisément que Patou, truffier né au contact de sa mère, ne pas baisser les bras et retourner en exploration, jusqu’à ce qu’il déniche sa première «vraie» truffe.


Claire-Lyse Donnet
5 novembre 2005

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