VEVEYSE Fabienne Samson

L’art et la vie sans concession

Ayant tourné le dos à Vevey, Fabienne Samson habite maintenant Bouloz. Cette photographe, artiste atypique, a fait paraître son propre livre, qu’elle a géré jusqu’à la reliure. Une aventure éditoriale qui a duré plus de quatre ans.

Fabienne Samson: un départ de Vevey pour retrouver la sérénité

La Veveyse, terre d’exil? Surprenante question, elle a néanmoins son sens. Et, qui l’eût cru, c’est là-bas, quelque part derrière la butte moyenâgeuse, au village de Bouloz, une ferme isolée dans un coin de nature que nous ne visiterons pas. D’abord en raison de la couche de neige amoncelée comme un barrage tout au long du chemin, ensuite parce que celle qui y habite (lorsque l’hiver le permet) ne souhaite pas dévoiler ses pénates. «C’est mon espace de liberté et je souhaite le préserver, nul besoin d’en parler.» Fabienne Samson, photographe, artisane, artiste atypique maîtrisant en autodidacte toutes les techniques du livre d’art – de l’écriture à la reliure en passant par la gravure – n’en dira pas plus. Tout au plus évoque-t-elle les raisons de sa retraite volontaire avant de parler de sa création éditoriale (lire ci-dessous).
D’origine et de naissance, Fabienne est veveysanne, citadine jusqu’au bout des ongles. La jeune femme aime sa ville, au point de s’impliquer activement dans la vie de sa cité. Elle y anime des ateliers, gère le Cercle littéraire, crée et co-organise la rencontre internationale d’art contemporain Argos Project montée en marge du Festival Images 2000. Il faut que la ville bouge, vive, s’ouvre tout en conservant les charmes de son passé; il faut que Vevey ne se résume pas à l’éphémère grandiloquent de la Fête des vignerons. Celle de 1999 va tout faire basculer. Vevey est aux mains de la puissante Confrérie, livrée pieds et poings liés à un Conseil municipal aux ordres des Bacchus romands.
Une vingtaine d’arbres presque centenaires gênent la construction de la grande scène. «Abattons-les, ils sont malades» doivent se dire les organisateurs qui obtiennent l’autorisation communale en dépit des lois et de la volonté affichée de nombreux habitants. Pétition, opposition, discussion, rien n’y fera. Les édiles veveysans ont érigé en instrument politique le fameux dicton qui affirme que si tu veux te débarrasser de ton chien, il faut dire qu’il a la rage. Fort de ce principe, les tronçonneuses entrent en action. Adieu marronniers, adieu peupliers, et qu’importe la voix populaire!
C’en est trop. Fabienne perd ses dernières illusions dans le fracas des arbres qui s’écroulent. L’opération se déroule en catimini, dans la discrétion d’une aube de triste mémoire: «Je me souviendrai toujours de cette vieille dame qui ne pouvait pas retenir ses larmes en voyant les bûcherons faire leur travail.»
La citoyenne sait maintenant qu’elle et tant d’autres administrés ne seront jamais entendus: «Ce jour-là, j’ai compris que dans ma ville, la politique locale n’est qu’une vaste hypocrisie, une parodie de démocratie. On demande leur avis aux gens sans pour autant en tenir compte et si tu n’es pas dans une position dominante, fortune à l’appui, impossible de te faire entendre.»
Blessée dans sa sensibilité d’artiste engagée, Fabienne tourne le dos à sa ville natale. «Il fallait que je quitte ces lieux afin de pouvoir continuer à travailler dans la sérénité.» La voici dans la ferme de Bouloz, loin de tout, proche de sa création, plurielle et enchantée.

Le livre est disponible chez l’auteur (079 794 69 23) ou à la Bouquinerie du Varis, à Fribourg (026 323 23 43). Tirage de 50 ex. numérotés et signés

Une fable, un coffret

Champignons, forêts, ombres inquiétantes comme autant de personnages maléfiques, jeux de lune et de lumière entre les grands arbres bienveillants, orages effrayants ou souffle chaud du vent qui balaie les nuages… Sur les hauteurs de Bouloz, dans une nature aux charmes mystérieux, Fabienne retrouve l’univers de la fable qui se déroule en trois contes: Maude pour le premier, Udamé pour le deuxième et Petit Jean pour compléter la trilogie. La plume est légère, enfantine, à la manière des contes d’Andersen ou de Perrault, mais l’auteur va bien au-delà de l’écriture. L’illustration en trente-trois linogravures originales lui appartient également.
Restait à donner forme à l’ensemble. Une démarche classique aurait voulu que l’exilée de Bouloz se mette en quête d’un éditeur. Pas question! «Je ne voulais pas que cet ouvrage soit offsetisé», exprime-
t-elle dans un néologisme que l’on pourrait traduire par «passer à la moulinette des technologies de l’impression». Elle choisit le papier, un vélin de Rives fait en cuve à la main, effectue la mise en pages dans un graphisme sobre et épuré, compose les textes à l’ancienne selon la méthode des caractères mobiles, imprime sur d’anciennes machines grâce au précieux concours de Jean-Renaud Dagon des Ateliers typographiques Le Cadratin à Vevey. Ultime épisode d’une aventure artisanale qui aura duré plus de quatre ans, elle coud chacun des trois volumes au fil
de lin et confectionne le coffret qui accueillera la trilogie. Fabienne Samson conclut: «Je voulais faire un vrai vieux livre neuf.» C’est réussi.

 

Didier Schmutz
22 février 2005

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