Sa robe sombre,
son parfum entêtant, sa saveur corsée
Trésor
de patience et de savoir-faire séculaire, le vin cuit figure
en bonne place au panthéon culinaire romand. Produit rustique,
il nen demeure pas moins dune incroyable modernité,
allant jusquà séduire les plus grands noms de la
cuisine, qui lutilisent toujours davantage pour épicer
leurs plats.
«Cuisinier du XXe siècle», Frédy Girardet
a fortement contribué à la nouvelle notoriété
du vin cuit «Un produit courant de ma jeunesse»
par lentremise de son livre La cuisine spontanée (Editions
Robert Laffont). Il y consignait la recette de sa tarte, aujourdhui
encore citée en référence. Une tarte qui figurait
par ailleurs en bonne place sur la carte de son établissement
de Crissier. Mais le vin cuit nest pas destiné à
la seule confection de tartes ou autres desserts, son principal «débouché»
aujourd'hui. «On peut aller beaucoup plus loin! Il reste beaucoup
de choses à inventer et pas mal de jeunes chefs sy emploient»,
senthousiasme Michel Vidoudez, auteur dun ouvrage consacré
au sujet (Raisinée, cougnarde et vin cuit. Histoire et recettes
authentiques, Editions Cabédita).
Dans la fiche pilote élaborée dans le cadre de linventaire
du patrimoine culinaire suisse, lethnologue Isabelle Raboud-Schüle
par ailleurs conservatrice du Musée de lalimentation
de Vevey remarque elle aussi: «Le subtil équilibre
acidité et sucre fait apprécier le vin cuit en gastronomie,
par exemple pour souligner un foie gras ou la chasse.» Ou dautres
choses encore: «Il suffit dun peu dimagination
»
estime Frédy Girardet.
Remède
pour affaiblis
Mais avant dêtre un ingrédient apprécié
des cuisiniers, le vin cuit avait de toutes autres visées. A
commencer par la préservation de fruits périssables. Là,
nos ingénieux ancêtres ont fait des merveilles puisquil
se conserve indéfiniment. Il pouvait également endosser
un rôle de «remède», si lon en croit
lEncyclopédie dYverdon qui, au XVIIIe siècle,
le décrit comme «une boisson agréable, utile aux
personnes faibles». Couvert déloges aujourdhui,
le produit a pourtant connu des heures moins glorieuses. Notamment au
sortir de la Seconde Guerre mondiale, lorsque la Régie fédérale
des alcools soucieuse de prévenir lalcoolisme
a encouragé larrachage massif darbres à cidre.
Au même moment, le vin cuit perdait son importance en tant que
succédané du sucre. Car ce dernier, jusquici produit
de luxe, devenait alors accessible à tous. La tradition a néanmoins
persisté, grâce «aux organisations de paysannes vaudoises
et fribourgeoises qui ont su conserver les recettes», salue la
fiche réalisée pour linventaire du patrimoine culinaire.
Une aubaine, si lon songe que des produits similaires ont disparu
des cantons de Neuchâtel, du Jura, de Nidwald, dObwald et
de Lucerne, où leur existence est attestée avant le XXe
siècle. Il sen fabrique par contre toujours en Bresse voisine.
Le retour en grâce du vin cuit remonte aux années 1980,
alors que lon recommence à encourager la préservation
des vergers traditionnels. Depuis, le succès du produit ne se
dément pas, confirme Georges Morard. Avec son frère, le
distillateur du Bry en fabrique 150 litres quotidiennement, quelque
80 jours par année. «Nous accueillons également
de nombreux particuliers qui viennent presser leurs fruits chez nous
pour faire leur 15 ou 20 litres de vin cuit», remarque-t-il encore.
La fête
au vin cuit
Depuis quelques années, des sociétés locales organisent
des manifestations autour du vin cuit. Un moyen original de faire rentrer
des devises. La dixième édition de lune des plus
anciennes, à Grangettes, sest ainsi tenue le week-end dernier.
Là encore, grand succès: «Nous avons battu tous
les records, accueillant jusquà 1000 personnes en même
temps. Cest une fête très populaire dans le coin»,
raconte Bernard Monney, du ski-club Giboulées. Cette année,
pas moins de 345 litres ont été produits
et vendus,
au profit du ski-club. «Si nous avions eu 200 à 300 litres
de plus, cela partait la même chose!»
Même constat à La Roche, où a été
organisée le week-end passé également
une première Nuit du vin cuit. Une tonne de fruits y a été
transformée. «Lannée prochaine, nous pourrons
en tout cas doubler de volume», commente Roland Fessler, au nom
des organisateurs. Ici, le bénéfice a été
reversé aux responsables de la crèche vivante du village.
Pas
dAOC au menu de bénichon
Au menu de bénichon,
aucun produit frappé dune Appellation dorigine contrôlée
(AOC). Trois dentre eux, pourtant, se verraient bien auréolés
du label fédéral: la poire à botsi, le jambon de
la borne et la cuchaule. Mais il leur faudra du temps encore avant de
pouvoir arborer les trois fameuses lettres.
Le projet le plus avancé concerne la poire à botsi. «Nous
sommes pratiquement prêts», signale Gérard Chenaux,
président de lUnion fruitière fribourgeoise (UFF).
Le cahier des charges a été déposé à
lOffice fédéral de lagriculture (OFAG), qui
attend encore de lUFF une ultime étude prouvant
via un sondage auprès de quelque 1000 personnes que cette
poire est connue en Suisse comme étant fribourgeoise. «Nous
ne serions pas obligés de le faire surtout que cela nous
coûte de largent! mais cela légitimera encore
notre demande», explique le pépiniériste de Chésopelloz.
Les résultats de ce sondage seront ensuite transmis à
lOFAG, qui publiera la mise à lenquête du dossier.
Trois mois sécouleront alors, le temps de voir émerger
déventuelles oppositions.
Opposition dans
lair
LUFF a minimisé ce dernier risque en élargissant
le territoire de production de la poire à botsi aux districts
vaudois dAvenches et de Payerne, ainsi quaux communes dYvonand
et Dompierre, où existent déjà des cultures commerciales.
«Si tout va bien, nous devrions avoir lAOC pour la récolte
2005», espère Gérard Chenaux. Il insiste cependant
sur le conditionnel. Car des oppositions pourraient émaner de
milieux comme Pro specia rara, la Fondation suisse pour la sauvegarde
du patrimoine génétique et culturel des plantes et animaux
domestiques. Responsable de son antenne romande, Denise Gautier explique:
«LAOC doit défendre des produits, pas des variétés.
Celles-ci doivent rester un patrimoine commun.»
Le jambon en
tête
La confiscation par les Fribourgeois de la poire à botsi pourrait
également poser des problèmes pour la conservation de
lespèce, affirme-t-elle: «Cest une variété
à connotation locale certes, mais pour sa conservation, nous
préférons la voir pousser dans différents endroits.
Ce quinterdirait lAOC. Quarriverait-il alors si le
commerce ne marchait pas et que les arboriculteurs fribourgeois arrêtaient
de cultiver cette poire? Quarriverait-il si une épidémie
de feu bactérien décimait le verger fribourgeois? On évite
tous ces problèmes en donnant une AOC à un produit plutôt
quà une variété.»
Des deux autres prétendants à lAOC, le jambon à
la borne semble le mieux placé dans la course à la certification.
«Nous sommes prêts à déposer le dossier»,
annonce François Blanc, président de lAssociation
des bouchers fribourgeois. Ne restent que des détails à
régler, avec les voisins vaudois notamment. Quand à la
cuchaule, «nous navons pas avancé dun iota»,
avoue le président des boulangers fribourgeois Bernard Walker.
«Cest dommage pour ce produit typique. Mais pour obtenir
une AOC, il faut vraiment que tout le monde le veuille
»
Ce qui nest pas encore le cas au sein de la confrérie boulangère:
certains artisans préfèrent en effet utiliser du citron
plutôt que du safran pour confectionner leurs cuchaules. Le prix
de revient du produit fini, évidemment, nest pas le même.
Il nempêche: «Cest un projet que nous allons
remettre sur le métier», assure Bernard Walker.
Cent
kilos pour 7 litres
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Le vin cuit
est un sirop concentré. Cent kilos de fruits donnent
70 litres de jus qui, au terme dune longue ébullition
de plus de 20 heures, seront réduits à 7 litres
de vin cuit. Selon linventaire du patrimoine culinaire
suisse, il est élaboré «à base de
jus de poires dans le canton de Fribourg. Dans le canton de
Vaud [n.d.l.r.: où il porte le nom de raisinée],
il est fabriqué à base de jus de pommes seul,
de jus de poires ou du mélange des deux, plus rarement
de jus de raisins.» Responsable de cet inventaire, Isabelle
Raboud-Schüle précise cependant quil ne sagit
pour lheure que dune fiche pilote: «Nous irons
sur le terrain dès le mois de janvier pour nous rendre
compte de sa réalité.»
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