GRUYÈRE Bernard Romanens, mort il y a vingt ans

La légende d’un soliste vrai

Le 30 janvier 1984 disparaissait Bernard Romanens. Le chanteur du «Ranz des vaches» de la Fête des vignerons de 1977 était fauché en pleine gloire. A l’âge de 37 ans. Vingt ans plus tard, que reste-t-il de ce personnage qui a inscrit son nom dans la mythologie du «Ranz»?


Depuis vingt ans, livres, disques et cartes postales se mêlent aux souvenirs pour perpétuer la légende de Bernard Romanens

Vingt ans après sa mort, Bermard Romanens tient toujours de la légende. Son nom est imprimé de manière presque indélébile sur la mythologie du Ranz des vaches. Et le succès d’un Patrick Menoud, lors de la Fête des vignerons de 1999, n’a pas effacé l’empreinte de l’armailli de Marsens. Sa brutale disparition, au matin du 30 janvier 1984, à la fleur de l’âge, n’est pas étrangère à la pérennité de cette légende.
Ce lundi matin, la nouvelle se propage avec une folle rapidité. Bernard Romanens est découvert sans vie dans la chambre qu’il louait à la laiterie de Villarimboud, où il avait trouvé du travail pour l’hiver. Crise d’épilepsie, affection cardiaque? Certitude: la disparition de cet homme de 37 ans suscita une émotion à travers tout le pays. Une émotion qui prit la forme d’hommage dans tous les journaux romands. Hommage à une authenticité, à la simplicité d’«un chanteur qui ne s’est jamais laissé corrompre par le succès».

Un caractère sacré
Bernard Romanens n’aura pourtant survécu que sept ans à la fête. Avec le temps, demeure l’impression que cet homme, dont tout le monde loue la modestie et la vérité, a été emporté par «l’ouragan de la gloire», pour reprendre l’expression de Michel Gremaud, qui signait sa nécrologie dans ce journal. Plus tard, dans ces mêmes colonnes, Jean Steinauer écrira que Romanens est «mort de n’avoir pas compris les enjeux de pouvoir d’un chant d’armailli».
Il est une évidence que tous les textes écrits sur le soliste de 1977 confirment: Bernard Romanens est véritablement identifié à ce chant de la montagne. Et cette identification a pris dès la Fête des vignerons, et plus encore après son décès, des teintes sacrées. Michel Gremaud le résumait ainsi: «Bernard Romanens, sans forfanterie, incarnait le pays. Identifié non à une chanson, mais à un rite, il était devenu le maître de l’incantation, le prêtre. Pas d’autre explication à la ferveur quasi religieuse qui entoure le personnage.»
Dans l’ouvrage paru quelques années après sa disparition aux Editions Mon village, dans la collection «Visages et coutumes de ce pays», plusieurs plumes insistent sur la charge rituelle dont fut investi le soliste Romanens. Car la Fête des vignerons n’a rien d’une manifestation folklorique, elle tient d’abord d’une cérémonie. Guy Métraux, dans son livre sur le Ranz des vaches, confirme: «Ne nous y trompons pas, la mise en scène du jeu et du chant du Ranz des vaches est une mythologie aussi forte et ancienne que celle de Guillaume Tell et du Rütli, une cristallisation mystique, sacrée, agissante, qui secoue même les incroyants.»
D’autres que Bernard Romanens ont été portés par la force de cette mythologie alpestre. Le notaire bullois Placide Currat, soliste des fêtes de 1889 et 1905, a probablement battu tous les records fribourgeois de la notoriété. Invité à chanter à Paris et Londres en un temps où l’étranger commençait à Fribourg. Robert Colliard, soliste de 1927, fut aussi aspiré par cette célébration, comme l’est depuis 1999 Patrick Menoud qui surfe toujours sur la vague de la célébration veveysanne.

D’abord un armailli
Mais l’adhésion du public à la figure de Bernard Romanens était d’un autre ordre. Car le chanteur de Marsens représentait l’armailli dans son idéal. Aucune distance entre l’image et le calque: Romanens était d’abord un paysan. Il avait consenti à donner son visage à une mélodie, qui symbolise depuis le Romantisme toute une tradition pastorale. Aussi, lorsque le chanteur est invité par Jean Balissat et la Landwehr à voyager aux Etats-Unis (en 1976) et en Chine (en 1980), c’est d’abord l’armailli qui répond à l’appel.
Balissat ne s’y trompe pas lorsqu’il évoque «la densité du personnage qui le mettait à l’abri de tout folklorisme de commande». Tandis qu’Henri Gremaud complète l’analyse: «En un temps très court, il avait rempli sa mission, qui était d’offrir son être pour que vive une chanson où s’enclôt l’âme d’un pays». Depuis vingt ans, livres, disques et cartes postales se mêlent aux souvenirs pour perpétuer la légende de Bernard Romanens, devenu bien malgré lui un lieu de mémoire, que la force d’un chant a érigé en emblème régional.

Patrice Borcard
29 janvier 2004

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