Fin mars 1996, à
Rue, le préfet Jean-Claude Cornu provoquait une révolution
dans le paysage institutionnel de la Glâne en présentant
une carte idéalement réduite à seize communes.
Pavé dans la mare? La Glâne, cette année-là,
en comptait 44. Et le sujet des fusions, plus tabou comme jadis, était
malgré tout encore abordé avec certaines précautions
oratoires. Dans le détail, cette carte imaginaire comprenait
douze communes de 400 à 900 habitants et quatre entre 1000 et
5000 habitants.
Fiction et réalité
Presque huit ans plus tard, la réalité est-elle en passe
de rattraper la fiction? Oui, puisquil y aura deux fois moins
de communes le 1er janvier 2004, soit 22 au lieu de 44. Oui, encore,
si les trois autres projets mentionnés par le Service des communes,
et qui concerneraient en létat sept communes, se concrétisent,
car cela signifierait encore six communes de moins: on serait à
16, exactement! Mais la carte nest pas le territoire. Dabord,
toutes les fusions du dess(e)in préfectoral ne se sont pas concrétisées,
quand elles se sont faites, exactement comme prévu (voir nos
cartes comparatives). Ensuite, les projets en cours ne vont pas forcément
se réaliser.
La mégafusion à neuf, réalisée en deux temps,
autour de Vuisternens-dt-Romont (avec Villariaz, La Magne, Lieffrens,
Sommentier, La Joux, Les Ecasseys, Estévenens et La Neirigue)
nétait pas, par exemple, imaginée avec cette ampleur-là.
Autre différence notoire: les deux communes, Mézières
et Siviriez, que le préfet voyait échapper à toute
fusion, ont bel et bien uni leurs destins à dautres. Sur
les 22 communes qui composeront la Glâne du début 2004,
huit, nouvelles, résultent de fusions. Les quatorze autres, inchangées
jusquà nouvel ordre, sont Châtonnaye, Villarimboud,
Villaz-St-Pierre, Lussy, Romont, Massonnens, Le Châtelard, Grangettes,
Vuarmarens, Esmonts, Montet, Ecublens, Auboranges et Chapelle.
De 285 à
182!
Pourquoi cette «fusionnite» aiguë en Glâne? Le
décret de lEtat pour lencouragement aux fusions (novembre
1999), limité au 31 décembre 2004 pour le dépôt
dun dossier, a indiscutablement déployé ses effets.
Récemment, le Grand Conseil a du reste décidé de
doubler les moyens du fonds dencouragement, qui passent de 20
à 40 mio. Le Conseil dEtat ne demandait quune rallonge
de 16 mio. Depuis lentrée en vigueur du décret,
29 projets ont abouti dans le canton, concernant 92 communes et se traduisant
par 63 communes de moins.
En 1866, Fribourg, cétait 285 communes, dont une flopée
de «communuscules». Entre 1866 et 1999 (donc en 133 ans!),
seulement 34 projets ont abouti (ils concernent 75 communes, soit 41
de moins). Le canton en comptera moins de 200 en janvier 2004: 182 exactement.
Stimulées par la politique dencouragement de lEtat,
et redoutant, aussi, quon puisse les contraindre au-delà
de 2004 encore que le refus populaire, massif, de la loi sur
les fusions de 1974 montre que ce nest pas la bonne politique
et que pour lheure lEtat mise sur les fusions volontaires
beaucoup de communes ont engagé des réflexions
de fond avec leurs voisines, optant pour des mariages de raison. Et
si certaines nont pas encore convolé, il en est qui reconnaissent
quil nest plus possible, même si les finances tiennent
encore la route, de continuer toutes seules, pour diverses raisons.
«Il faut des communes fortes, aptes à mieux se défendre»,
observe Louis Parizot, syndic de Grangettes, commune nayant pas
encore fusionné: à la dernière Fête du vin
cuit dans son village, il a, dit-il, été interpellé
sur cette question par des citoyens suivant de près lévolution,
pour ne pas dire la révolution des temps.
Changement de
société
Car cest bien de cela quil sagit: dune mue en
profondeur de la société. Révolue, lépoque
où la commune vivait au rythme de sa laiterie. Fini, comme lécrivait
prémonitoirement un éditorialiste de La Gruyère
en juillet 1990, «cet immobilisme serein que troublait à
peine, tous les huit ans, lattribution des parchets communaux»,
à une époque où «le syndic était chevillé
depuis 28 ou 32 ans il ne se souvenait plus très bien
à la chaise antérieurement usée par son
père pendant quelques décennies». Aujourdhui,
une commune se juge surtout à la qualité de ses services
et à son attractivité fiscale.
Perte didentité, déficit démocratique? Ces
arguments, brandis par des opposants aux fusions, nont plus leur
raison dêtre. Lexpérience a prouvé,
dans les communes fusionnées, que les villages ne disparaissaient
pas de la carte. Il ne tient quaux habitants de forger leur identité
et aux citoyens duser de leurs droits en plein. Dans les communes
qui ont fusionné récemment, ces deux aspects étaient
peu sensibles dans les discussions. Bien moins que la prise de conscience
quune fusion, cest un contrat, comme dans tout mariage qui
se respecte, au terme duquel chaque «époux» doit
recevoir une compensation. La finalité étant de renforcer
substantiellement la commune, tant au plan des infrastructures que du
poids politique.
Encore
des projets en vue
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Dautres projets pourraient aboutir dici à
la fin du décret de lEtat. Selon le SCom, le Service
des communes (situation au 29 septembre 2003), 59 communes ont
annoncé leur intérêt pour des fusions qui,
ensemble, totaliseraient une aide financière de lordre
de 18,5 mio. Une vingtaine de projets sont actuellement en cours.
Pour la Glâne, on avance ceux dEsmonts avec Vuarmarens,
de Grangettes avec Le Châtelard et Massonnens, et de Lussy
avec Villarimboud: mais ce ne sont là que des esquisses.
«Certains de ces projets ne vont pas se réaliser»,
nuance le SCom à propos des 59 communes mentionnées.
Du côté
du Châtelard
«Actuellement, le projet est au point mort», dit
ainsi Jean-Yves Gremaud, syndic du Châtelard. Un temps,
sa commune avait été en discussion avec Grangettes,
Massonnens et La Neirigue, cette dernière ayant, entre-temps,
rejoint le camp de Vuisternens. Si les finances, au Châtelard,
font souci, il y a aussi la difficulté de trouver des
candidats pour assumer des charges communales.
Quant à Grangettes, elle pourrait prendre une autre orientation.
On en saura plus en décembre, les citoyens devant dabord
être consultés sur certaines opportunités,
explique son syndic Louis Parizot, pour qui la fusion est inéluctable.
Non que la commune soit financièrement à la peine:
«Ça fait dix ans quon parle fusion. A notre
dernière assemblée, des citoyens nous ont exhortés
à prendre position rapidement. Officiellement, aucune
étude nest encore ouverte. Mais nous sommes bien
conscients que nous allons devoir prendre le train, ne serait-ce
quen raison du problème scolaire qui se profile.
Nos classes ne seront bientôt plus suffisantes pour être
maintenues, on court le risque quon nous les ferme.»
A supposer que Grangettes regarde ailleurs, ce cas de figure
nisolerait pas forcément Le Châtelard. Lexpérience
a prouvé que les fusions peuvent se réaliser en
plusieurs étapes, encore quil faille se garder
de trop étendre le territoire par rapport à la
population, sous peine de grever les budgets avec des frais
dinfrastructures et dentretien de routes
Ni pessimiste, ni optimiste, le syndic du Châtelard, commune
au maximum de leffort fiscal (1 fr. 25), observe que la
tendance commence à sinverser au niveau des contribuables,
avec un peu moins dagriculteurs et plus douvriers,
et que les principales infrastructures de base sont réalisées.
Lobjectif serait donc de diminuer limpôt,
ce qui ferait du Châtelard un candidat plus intéressant
dans un processus de fusion. Dont il resterait à définir
le partenaire, en fonction des affinités naturelles.
Fusionner avec Massonnens? Son syndic, Willy Schorderet, observe
quil faudrait, pour obtenir ladhésion de
la population de Massonnens, parvenir à un taux fiscal,
pour la nouvelle entité administrative, qui nexcéderait
pas la moyenne de celles qui sont fusionnées, soit un
franc par franc payé à lEtat. Une aide exceptionnelle
de lEtat? On y pense. Dans la reconnaissance, par exemple,
en route cantonale, de laxe communal Massonnens-Grangettes-Le
Châtelard-Sorens, ce qui permettrait, avec les économies
réalisées en entretien et déneigement,
de niveler la situation financière des communes éventuellement
fusionnantes. Mais «dici à la fin du décret,
je crois que rien ne changera pour nous», dit Jean-Yves
Gremaud, qui ne compte guère sur cette aide financière
exceptionnelle de lEtat. Peut-être y a-t-il là
un «combat» à engager par les députés?
A lautre bout sud de la Glâne, Ecublens, engagée
en son temps dans le processus avec Rue, Promasens et Gillarens,
nenvisage pas du tout la fusion actuellement: «Cest
totalement à zéro», dit le syndic Jean-François
Wenger. «La population navait pas voulu entrer en
matière en 2000. Nous avons respecté sa décision.
Notre seul problème, cest le manque deffectifs
des pompiers, mais cest un souci que nous partageons avec
bien dautres communes.»
Tout au nord, Lussy et Villarimboud ont effectivement un projet
entre elles: «Fin octobre 2003, nous nous serons déterminés.
Nous ne sommes, ni lune ni lautre, en mauvaise santé
financière. Notre objectif serait de devenir une entité
plus forte», confie le syndic de Lussy Gilbert Rey. Une
fusion à deux qui pourrait être une étape
intermédiaire avant denvisager une fusion plus
grande, plus tard, avec Villaz-St-Pierre.
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Quid
de «laprès-décret»?
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Sur les 182 communes que comptera le canton le 1er janvier 2004,
114 seront des entités de moins de 1000 habitants, parmi
lesquelles 17 glânoises. Soixante-huit communes, en tout,
auront plus de 1000 habitants dans le canton, la majorité
dentre elles (27) se situant entre 1001 et 1500. Directeur
des Institutions, de lAgriculture et des forêts,
le conseiller dEtat Pascal Corminboeuf répond à
nos questions sur les effets du décret dencouragement
à la fusion et sur «laprès-décret».
Y a-t-il un nombre idéal de communes pour le canton de
Fribourg?
Pascal Corminboeuf: Le Conseil dEtat espère atteindre
lobjectif de 150 communes, voire même le «dépasser
vers le bas». Cela rapprochera notre canton de la moyenne
suisse, environ 2400 habitants par commune. Le Conseil dEtat
na pas voulu donner de grandeur idéale. Il souhaitait
que chaque nouvelle commune bénéficie dune
administration permanente. La taille dépend aussi de
la géographie. On parle de former une unité économique,
géographique et culturelle. Il reste pourtant deux districts
avec trop de petites communes, le Lac (28) et surtout la Broye
(39).
Le décret dencouragement à la fusion a donc
largement remporté son pari?
Il a bien joué son rôle incitatif dans presque
tout le canton. Le pari fribourgeois fait létonnement
des autres cantons. La raison en est surtout que le sujet nest
plus tabou depuis longtemps dans ce canton. Depuis trente ans,
on «parle fusion». Le décret a servi de détonateur.
Laide du canton, et des communes elles-mêmes, il
faut le rappeler, sert de carburant. Lexpérience
fribourgeoise fait des émules au Tessin, déjà,
et ailleurs, bientôt. Lexpérience menée
dans la région bulloise démontre que les grandes
communes aussi se sentent concernées. Tout le remue-ménage
entraîné par le décret aura pour conséquence,
nous lespérons, une redynamisation du tissu communal,
propre à assumer le mieux les tâches et la surveillance
de proximité. Avec des communes plus fortes, le canton
sera plus fort.
Que va-t-il se passer au-delà de la limite du 31 décembre
2004? Le décret va-t-il être prolongé?
Il ne sera pas prolongé. La nouvelle péréquation
entre les communes, la modification de la classification communale
et une nouvelle répartition des tâches et des charges
entraîneront, pour les communes en difficulté financière,
et qui nauront rien entrepris dici là, des
contraintes telles que leur situation sera très difficile.
Elles sapercevront, un peu tard, que le train est déjà
passé. Trouver des communes «daccueil»
sans aide financière cantonale sera encore plus compliqué.
Le Conseil dEtat a déjà annoncé,
dans le message accompagnant le décret, le remplacement
du régime volontaire par un régime prévoyant
des mesures de contrainte pour les communes qui ne seraient
pas aptes à remplir leur fonction de collectivité
locale à vocation générale. Quant à
la nouvelle Constitution, elle prévoit dencourager
les fusions, mais ne dit rien des aides financières.
Que va-t-il advenir des communes qui se profilent un peu comme
des «vieilles filles», vu leur manque dattractivité
fusionnelle?
Le décret prévoit des aides particulières
pour les communes particulièrement en difficulté
financière qui ont fourni leffort fiscal maximal.
Laide spéciale a été attribuée
à Gillarens 360000 francs de supplément
lors de la fusion avec Rue et Promasens. Cette aide concerne
à notre avis trois ou quatre cas de communes qui cherchent
des partenaires. Le décret confère donc une certaine
souplesse au Conseil dEtat et au Grand Conseil.
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