GLÂNE La grande mue de la Glâne

Vingt-deux communes en 2004

En un peu moins de huit ans, le nombre de communes, dans le district de la Glâne, aura diminué de moitié. De 44 en 1996, elles passeront à 22 le 1er janvier 2004. Et ce n’est sans doute pas fini, le décret d’encouragement aux fusions de l’Etat fixant au 31 décembre 2004 la date limite pour le dépôt de dossiers. Analyse et perspectives.

 

Fin mars 1996, à Rue, le préfet Jean-Claude Cornu provoquait une révolution dans le paysage institutionnel de la Glâne en présentant une carte idéalement réduite à seize communes. Pavé dans la mare? La Glâne, cette année-là, en comptait 44. Et le sujet des fusions, plus tabou comme jadis, était malgré tout encore abordé avec certaines précautions oratoires. Dans le détail, cette carte imaginaire comprenait douze communes de 400 à 900 habitants et quatre entre 1000 et 5000 habitants.

Fiction et réalité
Presque huit ans plus tard, la réalité est-elle en passe de rattraper la fiction? Oui, puisqu’il y aura deux fois moins de communes le 1er janvier 2004, soit 22 au lieu de 44. Oui, encore, si les trois autres projets mentionnés par le Service des communes, et qui concerneraient en l’état sept communes, se concrétisent, car cela signifierait encore six communes de moins: on serait à 16, exactement! Mais la carte n’est pas le territoire. D’abord, toutes les fusions du dess(e)in préfectoral ne se sont pas concrétisées, quand elles se sont faites, exactement comme prévu (voir nos cartes comparatives). Ensuite, les projets en cours ne vont pas forcément se réaliser.
La mégafusion à neuf, réalisée en deux temps, autour de Vuisternens-dt-Romont (avec Villariaz, La Magne, Lieffrens, Sommentier, La Joux, Les Ecasseys, Estévenens et La Neirigue) n’était pas, par exemple, imaginée avec cette ampleur-là. Autre différence notoire: les deux communes, Mézières et Siviriez, que le préfet voyait échapper à toute fusion, ont bel et bien uni leurs destins à d’autres. Sur les 22 communes qui composeront la Glâne du début 2004, huit, nouvelles, résultent de fusions. Les quatorze autres, inchangées jusqu’à nouvel ordre, sont Châtonnaye, Villarimboud, Villaz-St-Pierre, Lussy, Romont, Massonnens, Le Châtelard, Grangettes, Vuarmarens, Esmonts, Montet, Ecublens, Auboranges et Chapelle.

De 285 à 182!
Pourquoi cette «fusionnite» aiguë en Glâne? Le décret de l’Etat pour l’encouragement aux fusions (novembre 1999), limité au 31 décembre 2004 pour le dépôt d’un dossier, a indiscutablement déployé ses effets. Récemment, le Grand Conseil a du reste décidé de doubler les moyens du fonds d’encouragement, qui passent de 20 à 40 mio. Le Conseil d’Etat ne demandait qu’une rallonge de 16 mio. Depuis l’entrée en vigueur du décret, 29 projets ont abouti dans le canton, concernant 92 communes et se traduisant par 63 communes de moins.
En 1866, Fribourg, c’était 285 communes, dont une flopée de «communuscules». Entre 1866 et 1999 (donc en 133 ans!), seulement 34 projets ont abouti (ils concernent 75 communes, soit 41 de moins). Le canton en comptera moins de 200 en janvier 2004: 182 exactement.
Stimulées par la politique d’encouragement de l’Etat, et redoutant, aussi, qu’on puisse les contraindre au-delà de 2004 – encore que le refus populaire, massif, de la loi sur les fusions de 1974 montre que ce n’est pas la bonne politique et que pour l’heure l’Etat mise sur les fusions volontaires – beaucoup de communes ont engagé des réflexions de fond avec leurs voisines, optant pour des mariages de raison. Et si certaines n’ont pas encore convolé, il en est qui reconnaissent qu’il n’est plus possible, même si les finances tiennent encore la route, de continuer toutes seules, pour diverses raisons. «Il faut des communes fortes, aptes à mieux se défendre», observe Louis Parizot, syndic de Grangettes, commune n’ayant pas encore fusionné: à la dernière Fête du vin cuit dans son village, il a, dit-il, été interpellé sur cette question par des citoyens suivant de près l’évolution, pour ne pas dire la révolution des temps.

Changement de société
Car c’est bien de cela qu’il s’agit: d’une mue en profondeur de la société. Révolue, l’époque où la commune vivait au rythme de sa laiterie. Fini, comme l’écrivait prémonitoirement un éditorialiste de La Gruyère en juillet 1990, «cet immobilisme serein que troublait à peine, tous les huit ans, l’attribution des parchets communaux», à une époque où «le syndic était chevillé depuis 28 ou 32 ans – il ne se souvenait plus très bien – à la chaise antérieurement usée par son père pendant quelques décennies». Aujourd’hui, une commune se juge surtout à la qualité de ses services et à son attractivité fiscale.
Perte d’identité, déficit démocratique? Ces arguments, brandis par des opposants aux fusions, n’ont plus leur raison d’être. L’expérience a prouvé, dans les communes fusionnées, que les villages ne disparaissaient pas de la carte. Il ne tient qu’aux habitants de forger leur identité et aux citoyens d’user de leurs droits en plein. Dans les communes qui ont fusionné récemment, ces deux aspects étaient peu sensibles dans les discussions. Bien moins que la prise de conscience qu’une fusion, c’est un contrat, comme dans tout mariage qui se respecte, au terme duquel chaque «époux» doit recevoir une compensation. La finalité étant de renforcer substantiellement la commune, tant au plan des infrastructures que du poids politique.

Encore des projets en vue


D’autres projets pourraient aboutir d’ici à la fin du décret de l’Etat. Selon le SCom, le Service des communes (situation au 29 septembre 2003), 59 communes ont annoncé leur intérêt pour des fusions qui, ensemble, totaliseraient une aide financière de l’ordre de 18,5 mio. Une vingtaine de projets sont actuellement en cours. Pour la Glâne, on avance ceux d’Esmonts avec Vuarmarens, de Grangettes avec Le Châtelard et Massonnens, et de Lussy avec Villarimboud: mais ce ne sont là que des esquisses. «Certains de ces projets ne vont pas se réaliser», nuance le SCom à propos des 59 communes mentionnées.

Du côté du Châtelard
«Actuellement, le projet est au point mort», dit ainsi Jean-Yves Gremaud, syndic du Châtelard. Un temps, sa commune avait été en discussion avec Grangettes, Massonnens et La Neirigue, cette dernière ayant, entre-temps, rejoint le camp de Vuisternens. Si les finances, au Châtelard, font souci, il y a aussi la difficulté de trouver des candidats pour assumer des charges communales.
Quant à Grangettes, elle pourrait prendre une autre orientation. On en saura plus en décembre, les citoyens devant d’abord être consultés sur certaines opportunités, explique son syndic Louis Parizot, pour qui la fusion est inéluctable. Non que la commune soit financièrement à la peine: «Ça fait dix ans qu’on parle fusion. A notre dernière assemblée, des citoyens nous ont exhortés à prendre position rapidement. Officiellement, aucune étude n’est encore ouverte. Mais nous sommes bien conscients que nous allons devoir prendre le train, ne serait-ce qu’en raison du problème scolaire qui se profile. Nos classes ne seront bientôt plus suffisantes pour être maintenues, on court le risque qu’on nous les ferme.»
A supposer que Grangettes regarde ailleurs, ce cas de figure n’isolerait pas forcément Le Châtelard. L’expérience a prouvé que les fusions peuvent se réaliser en plusieurs étapes, encore qu’il faille se garder de trop étendre le territoire par rapport à la population, sous peine de grever les budgets avec des frais d’infrastructures et d’entretien de routes…
Ni pessimiste, ni optimiste, le syndic du Châtelard, commune au maximum de l’effort fiscal (1 fr. 25), observe que la tendance commence à s’inverser au niveau des contribuables, avec un peu moins d’agriculteurs et plus d’ouvriers, et que les principales infrastructures de base sont réalisées. L’objectif serait donc de diminuer l’impôt, ce qui ferait du Châtelard un candidat plus intéressant dans un processus de fusion. Dont il resterait à définir le partenaire, en fonction des affinités naturelles.
Fusionner avec Massonnens? Son syndic, Willy Schorderet, observe qu’il faudrait, pour obtenir l’adhésion de la population de Massonnens, parvenir à un taux fiscal, pour la nouvelle entité administrative, qui n’excéderait pas la moyenne de celles qui sont fusionnées, soit un franc par franc payé à l’Etat. Une aide exceptionnelle de l’Etat? On y pense. Dans la reconnaissance, par exemple, en route cantonale, de l’axe communal Massonnens-Grangettes-Le Châtelard-Sorens, ce qui permettrait, avec les économies réalisées en entretien et déneigement, de niveler la situation financière des communes éventuellement fusionnantes. Mais «d’ici à la fin du décret, je crois que rien ne changera pour nous», dit Jean-Yves Gremaud, qui ne compte guère sur cette aide financière exceptionnelle de l’Etat. Peut-être y a-t-il là un «combat» à engager par les députés?
A l’autre bout sud de la Glâne, Ecublens, engagée en son temps dans le processus avec Rue, Promasens et Gillarens, n’envisage pas du tout la fusion actuellement: «C’est totalement à zéro», dit le syndic Jean-François Wenger. «La population n’avait pas voulu entrer en matière en 2000. Nous avons respecté sa décision. Notre seul problème, c’est le manque d’effectifs des pompiers, mais c’est un souci que nous partageons avec bien d’autres communes.»
Tout au nord, Lussy et Villarimboud ont effectivement un projet entre elles: «Fin octobre 2003, nous nous serons déterminés. Nous ne sommes, ni l’une ni l’autre, en mauvaise santé financière. Notre objectif serait de devenir une entité plus forte», confie le syndic de Lussy Gilbert Rey. Une fusion à deux qui pourrait être une étape intermédiaire avant d’envisager une fusion plus grande, plus tard, avec Villaz-St-Pierre.


Quid de «l’après-décret»?


Sur les 182 communes que comptera le canton le 1er janvier 2004, 114 seront des entités de moins de 1000 habitants, parmi lesquelles 17 glânoises. Soixante-huit communes, en tout, auront plus de 1000 habitants dans le canton, la majorité d’entre elles (27) se situant entre 1001 et 1500. Directeur des Institutions, de l’Agriculture et des forêts, le conseiller d’Etat Pascal Corminboeuf répond à nos questions sur les effets du décret d’encouragement à la fusion et sur «l’après-décret».

– Y a-t-il un nombre idéal de communes pour le canton de Fribourg?
Pascal Corminboeuf: Le Conseil d’Etat espère atteindre l’objectif de 150 communes, voire même le «dépasser vers le bas». Cela rapprochera notre canton de la moyenne suisse, environ 2400 habitants par commune. Le Conseil d’Etat n’a pas voulu donner de grandeur idéale. Il souhaitait que chaque nouvelle commune bénéficie d’une administration permanente. La taille dépend aussi de la géographie. On parle de former une unité économique, géographique et culturelle. Il reste pourtant deux districts avec trop de petites communes, le Lac (28) et surtout la Broye (39).

– Le décret d’encouragement à la fusion a donc largement remporté son pari?
Il a bien joué son rôle incitatif dans presque tout le canton. Le pari fribourgeois fait l’étonnement des autres cantons. La raison en est surtout que le sujet n’est plus tabou depuis longtemps dans ce canton. Depuis trente ans, on «parle fusion». Le décret a servi de détonateur. L’aide du canton, et des communes elles-mêmes, il faut le rappeler, sert de carburant. L’expérience fribourgeoise fait des émules au Tessin, déjà, et ailleurs, bientôt. L’expérience menée dans la région bulloise démontre que les grandes communes aussi se sentent concernées. Tout le remue-ménage entraîné par le décret aura pour conséquence, nous l’espérons, une redynamisation du tissu communal, propre à assumer le mieux les tâches et la surveillance de proximité. Avec des communes plus fortes, le canton sera plus fort.

– Que va-t-il se passer au-delà de la limite du 31 décembre 2004? Le décret va-t-il être prolongé?
Il ne sera pas prolongé. La nouvelle péréquation entre les communes, la modification de la classification communale et une nouvelle répartition des tâches et des charges entraîneront, pour les communes en difficulté financière, et qui n’auront rien entrepris d’ici là, des contraintes telles que leur situation sera très difficile. Elles s’apercevront, un peu tard, que le train est déjà passé. Trouver des communes «d’accueil» sans aide financière cantonale sera encore plus compliqué. Le Conseil d’Etat a déjà annoncé, dans le message accompagnant le décret, le remplacement du régime volontaire par un régime prévoyant des mesures de contrainte pour les communes qui ne seraient pas aptes à remplir leur fonction de collectivité locale à vocation générale. Quant à la nouvelle Constitution, elle prévoit d’encourager les fusions, mais ne dit rien des aides financières.

– Que va-t-il advenir des communes qui se profilent un peu comme des «vieilles filles», vu leur manque d’attractivité fusionnelle?
Le décret prévoit des aides particulières pour les communes particulièrement en difficulté financière qui ont fourni l’effort fiscal maximal. L’aide spéciale a été attribuée à Gillarens – 360000 francs de supplément – lors de la fusion avec Rue et Promasens. Cette aide concerne à notre avis trois ou quatre cas de communes qui cherchent des partenaires. Le décret confère donc une certaine souplesse au Conseil d’Etat et au Grand Conseil.

 

 

Marie-Paule Angel
9 octobre 2003

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