En publiant trois livres en moins dune année, Monique Laederach
a fêté dignement le Prix Schiller reçu lannée
dernière pour lensemble de son uvre. Un prix qui
récompensait lune des créatrices les plus denses
de la littérature romande.
Monique Laederach:
«Jai aujourdhui encore de la peine à dire que
je suis écrivaine» (C. Dutoit)
Monique
Laederach respire par lécriture. Lauteure neuchâteloise
vient de publier en moins dune année un roman, Je nai
pas dansé dans lîle, un récit, Lombre
où mattire ta main et un recueil de poésie, Ce chant
mon amour. Mais ce nest pas encore assez: la voilà lancée
dans la pleine énergie communicative dun
nouveau roman. Un bonheur exprimé: «Je suis tellement plus
équilibrée quand jécris. Lécriture
est si ludiquement importante pour moi.»
A travers poèmes, romans, traductions et critiques, Monique Laederach
sest imposée comme lune des voix les plus originales
de la littérature romande contemporaine. Elle dit être
venue «naturellement» à lécriture et
continue à écrire naturellement, sans boursouflure de
lego: «Jai aujourdhui encore de la peine à
dire que je suis écrivaine. Ecrire, cest bien, cest
tout. Ecrire, nager
»
Cest pourtant un gigantesque travail sur elle-même qui a
permis la naissance de cette uvre marquante. Lune de ses
caractéristiques principales tient dans lélaboration
dune véritable écriture littéraire féminine,
loin des stéréotypes et autres conventions.
Monique Laederach ny va pas par quatre chemins: «Pour les
hommes, maintenant encore, en tout cas pour mes collègues de
Suisse romande, il ny a rien à faire, lécriture
est métaphysique. Au sens strict, elle lest, bien sûr.
Mais eux ajoutent des dimensions de créateurs de droit divin:
je parle, donc cela est. Nous les femmes, pas du tout, sauf exceptions.
Ils ont, et depuis longtemps, voulu éjecter la corporéité:
il fallait être pur esprit. Pour nous, lécriture
a beaucoup plus à faire avec le corps, avec la terre, avec les
saisons. Et cest sur ce plan-là quil y a une écriture
féminine, une écriture qui ne revendique pas la création
de droit divin.»
Passer
pour un homme
Etre femme, écrire comme femme, donner voix à la
femme
autant de préoccupations qui auront été
les grands combats de Monique Laederach. Elle nhésite pas
à comparer la «féminitude» à la «négritude».
Et peste contre le comportement de certains écrivains: «Jai
rencontré V.S. Naipaul [n.d.l.r.: Prix Nobel de littérature
2001], dans un repas avec un éditeur. Nous étions deux
femmes. Nous navons pas existé.»
Monique Laederach explique encore, amusée, que pendant quelques
jours, elle a même essayé de se faire passer pour un homme,
sûre dêtre ainsi prise plus au sérieux: «Je
suivais des hommes à la Migros pour apprendre à marcher
comme eux. Cétait une expérience intéressante
et drôle qui ma un peu libérée de mon fantasme.»
On trouve trace de cette expérience dans le personnage de Manu
qui apparaît dans Les Noces de Cana un très beau
roman et tient le rôle clé de Je nai pas dansé
dans lîle.
Engagement
politique
La mainmise des hommes sur la littérature la limitera longtemps
dans son expression. «Tout ce que jécrivais en prose
était très mauvais. Et je le savais. Cest que jétais
incapable dimaginer un personnage principal au féminin.»
Le déclic se produit en 1978. Cette année-là, alors
quelle sétait consacrée à la poésie,
elle publie Stéphanie.
Suivra, en 1982, La femme séparée, une de ses uvres
marquantes: «Je nai jamais voulu dune écriture
engagée. Mais je me rends bien compte que ce livre était
hautement politique.» La politique, elle y touchera pourtant:
«Javais des discussions violentes avec mes collègues
écrivains alémaniques. Ils étaient tous engagés.
Un jour jai pris le taureau par les cornes: je me suis engagée
au PS, en me disant quainsi jécrirais ce que je voulais,
en faisant parallèlement de la politique. Au bout de dix ans,
javais une praxis», rit-elle.
«Une
langue vécue»
Cest ce défi dêtre femme en littérature
qui a contribué à lélaboration dune
langue propre, qui sinterdit le recours au langage préfabriqué
faisant office de littérature chez certains auteurs. Un langage
dont elle a fait la démonstration parodique dans La trahison,
livre qui permet de voir ce qui distingue la vraie voix littéraire
de Monique Laederach des voix conventionnelles.
Car ce qui frappe, dans lécriture de Monique Laederach,
cest autant sa capacité à dire la vie incarnée
et non abstraite dans la diversité des sensations qui
la constituent que celle dimposer des images qui restent bien
après quon eut quitté ses livres. «Mon style?
Cest simplement parlé. Je nai pas le sentiment de
faire quelque chose de spécial. Jai découvert ce
quétait une langue vécue. Et il me paraît
très naturel de transmettre cela plutôt que des mensonges.»
Le
plaisir de raconter
Mensonges, faux-semblants, conventions
autant de termes abhorrés
par lauteure neuchâteloise qui na pas fini de nous
étonner: «Depuis trois ans, je pense que jai passé
un seuil. Avant, je me concentrais surtout sur lexclusion, lexil.
Je voulais toujours montrer à quel point, au fond, la vie était
scandaleuse. Aujourdhui, je me laisse peut-être plus aller
à mon plaisir de raconter. Mais je me suis quand même promis
que maintenant, après des siècles décriture
masculine, il fallait se concentrer sur la femme. Nous avons, nous autres
femmes, des siècles à défricher.» Féministe,
Monique Laederach? Létiquette ne lui apporte rien, dit-elle.
Elle insiste par contre sur auteure, au féminin, «car ce
qui nest pas nommé nexiste pas».
Monique
Laederach, Lombre où mattire ta main, Association
pour laide à la création littéraire, Ce chant
mon amour, LAge dHomme
Charly Veuthey
/ 29 novembre 2001