INTERVEW
Jean-Luc Sandoz

Le bois, matériau d’avenir

Directeur du bureau d’ingénieur Concept bois technologie, chargé de cours à l’EPFL, dépositaire de près de quinze brevets techniques, Jean-Luc Sandoz est l’un des meilleurs propagateurs suisses du bois dans la construction. Avant d’illustrer son credo à l’occasion des conférences organisées jeudi passé par Lignum Fribourg à Bulle, il a parlé à «La Gruyère» de sa foi dans un matériau qui n’a rien à envier au métal ou au béton.

Jean-Luc Sandoz: «Le bois, c’est le plus vieux matériau de l’avenir» (C. Haymoz)

– La problématique de l’utilisation du bois dans la construction n’a jamais été aussi actuelle. Pourquoi?
Nous sommes confrontés au problème écologique général du réchauffement de la planète dû aux gaz à effet de serre, dont le CO2. Et la Suisse fait partie des pays pionniers qui ont pris des engagements pour réduire les émissions de CO2. La construction est un domaine fortement impliqué dans ces émissions. Le métal et le béton sont par exemple des matériaux qui coûtent, en énergie fossile et en rejet direct de CO2. On doit donc trouver des solutions alternatives. Le bois, au contraire, est un matériau qui fixe le CO2: pour «fabriquer» un mètre cube de bois, un arbre «mange» une tonne de CO2. Et relâche de l’oxygène.
Deuxième problème, la forêt suisse. Elle est actuellement en phase de sous-exploitation, de vieillissement, d’épaississement et d’instabilité écologique. Et quand un ouragan comme Lothar passe par là, ça fait trois fois plus mal qu’ailleurs. Donc, d’un côté il faut trouver des alternatives et des matériaux plus propres, d’un autre côté il faut davantage utiliser notre forêt, source naturelle locale. Le bois est providentiel: c’est un matériau local, de proximité, écologique. En face, on a des matériaux qui ont une charge écologique beaucoup plus importante et qui sont pour la plupart importés.

– Mais en matière de construction, le bois n’est-il pas un matériau moins durable que les autres?
La durabilité n’est pas une question qui concerne le bois en particulier. C’est une problématique générale de la construction. Vous savez sans doute que la tour Eiffel est repeinte tous les sept ans. Regardez les ponts en béton construits après-guerre: ils doivent tous être restaurés. Pourquoi? Parce que la construction qui n’est pas protégée des intempéries est moins durable, parce qu’elle souffre, qu’elle soit en bois, en métal ou en béton.
Nous avons différentes classifications. La classe 1, c’est le bâtiment chauffé; la classe 2, le bâtiment semi-exposé, comme une halle; la classe 3, le bâtiment exposé, comme un pont; et la classe 4, le bâtiment horizontal au sol, comme une terrasse. Pour les classes 1 et 2, il n’y a aucun problème de durabilité du bois: le matériau est inerte, il sera toujours là dans mille ans. En classe 3, il y a des possibilités de dégradation, mais qui se règlent très facilement par des détails constructifs qui permettent la ventilation du bois. En gros, il faut que quand il pleut, l’eau reparte aussitôt par le vent. Il ne s’agit donc pas d’une question de durabilité du matériau, mais de technicité et de qualité de mise en œuvre. C’est la même chose pour le métal. Il y a des traitements qui fonctionnent, et il y en a qui ne fonctionnent pas. Le plus vieux bâtiment de référence en bois est un temple bouddhiste au Japon qui date du VIIe siècle. Il y a mille ans, les Japonais ont construit des tours en bois de cent mètres de haut. Et la raison de leur disparition, ce ne sont ni les séismes ni la pourriture, mais le feu. Mais aujourd’hui, on sait faire de la prévention au feu. C’est de nouveau une question de technicité supérieure. L’enseignement, l’expérience, la culture d’entreprise sont importantes.

– Des innovations techniques décisives sont-elles apparues ces dernières années, qui ont contribué aux hautes performances du bois dans la construcion?
Il y a eu énormément d’évolutions technologiques, dès les années cinquante. En Suisse, une multitude de brevets ont été déposés. Moi-même j’en ai déposé 14 ces dix dernières années, en matière notamment de systèmes d’assemblage. Mon bureau de 15 ingénieurs fonctionne uniquement avec des technologies qui n’existaient pas il y a cinq ans. Il existe donc des évolutions énormes, parce que l’on se réintéresse au bois. Mon objectif, c’est d’être compétitif. Je recherche des solutions économiques, pour pouvoir faire des bâtiments bon marché.

– Construire en bois, donc, n’est pas forcément plus cher…
Si on compare le même projet avec la même qualité, le bois est très compétitif. Mais la plupart du temps, on conçoit un projet en métal et on nous demande une variante en bois. Si on doit s’adapter à ce qu’a prévu le métal, on va être plus cher. Mais l’inverse est aussi vrai: si on conçoit un projet en bois et qu’on demande une variante en métal, le métal sera plus cher. Parce que chaque matériau a ses finesses d’expression conceptuelle. Aujourd’hui, je travaille avec des architectes, et je sais très bien faire des finesses architecturales pour que le métal soit piégé.

– Le bois local utilisé dans la construction est essentiellement de l’épicéa. Mais d’autres sortes de bois sont-elles apparues dans l’architecture?
C’est un grand chapitre. Il y a de nouvelles qualités de bois, selon de nouvelles normes européennes, et la Suisse est extrêmement bien placée pour vendre du bois à haute performance, avec les bois du Jura et des Alpes. Lorsque j’étais chercheur à l’EPFL, nous avons développé un appareil de mesure par ultrasons qui sait reconnaître ces qualités, et avec lequel on sait maintenant valoriser cette ressource. Notre bois est très supérieur à ce que l’on trouve dans le reste de l’Europe, car on a une forêt d’altitude, et les arbres, poussant moins rapidement, produisent un bois plus dense et de meilleure qualité. Aujourd’hui, sur le marché européen, on est confronté à du bois russe, néo-zélandais, chilien. Si vous prenez la classe moyenne, tout le monde est mélangé. Si vous allez dans le haut de gamme, il ne reste plus grand monde. C’est le credo que je formule pour le bois suisse. Bien sûr, d’autres sortes de bois peuvent encore être valorisées, comme le mélèze.

– En matière de résistance, le bois est-il aussi compétitif? On pense tout de suite à la tempête qui arrive…
La construction en bois est bien meilleure sous les tempêtes ou en cas de séisme que le métal et le béton, par sa souplesse et par ses assemblages qui absorbent de l’énergie. Ce n’est pas pour rien que le Japon, qui subit un ou deux cyclones ou séismes par année, a développé depuis des siècles sa culture de la construction en bois. Le Japon est d’ailleurs numéro un mondial des outils de coupe. Ils ont non seulement le savoir-faire, mais ils ont inventé les outils qui servent ce savoir-faire.

– En terme d’esthétique et d’image que le bois renvoie au public, le bois est-il adapté à toutes sortes de bâtiments? On imagine mal une banque construite en bois…
Allez en Finlande ou en Suède, et vous verrez des banques en bois. Avec le bois, on peut tout exprimer en architecture. On peut le teindre, le colorer, le décliner, l’associer, on peut faire du mixte, du bois-verre, du bois-brique, du bois-pierre… On arrive à tout faire. D’ailleurs de très grands architectes savent très bien l’utiliser. Botta a fait des trucs fabuleux, Richard Rogers vient de faire le tribunal de Bordeaux, qui est fantastique. Notre slogan, c’est: «Le bois, le plus vieux matériau de l’avenir». Et en Suisse, il y a un vrai engouement.

– Qu’en est-il de la formation des architectes en matière de construction en bois?
Effectivement, quand on veut faire du développement, il faut suivre avec la formation. Formation dans la production – les charpentiers – et formation des planificateurs – les architectes et les ingénieurs. En 1978, l’EPFL et le professeur Julius Natterer ont créé la première chaire du bois au monde. A l’époque, les architectes en formation et les ingénieurs ne connaissaient pas le bois. Dans les ETS, en génie civil, on en parlait très peu. Maintenant, il y a un engouement phénoménal. A l’heure où je vous parle, en Europe, on recrute 18 postes de professeur d’Université pour enseigner le bois. Tout le monde a compris, du nord jusqu’au sud de l’Italie, qu’il faut développer ce secteur. Donc, il faut d’abord recréer l’infrastructure des formateurs, pour avoir ensuite des gens formés. Mais il y a encore beaucoup à faire. La Suisse a été pionnière avec la chaire du bois à l’EPFL. Hélas, aujourd’hui, l’EPFL se de-mande si elle va conserver cette chaire ou non. En 1978, la Suisse avait la première chaire du bois au monde, et peut-être qu’en 2004 on sera le seul pays en Europe à ne plus avoir de chaire de bois. Espérons que cette perspective ne se produira pas.

 

Il faut mieux utiliser le bois

Comment doubler la consommation de bois dans le canton de Fribourg? Plus qu’une question, c’est un objectif que s’est fixé l’association Lignum, communauté d’action fribourgeoise en faveur du bois, lors de son assemblée annuelle de l’an 2000. S’est ensuivie la réalisation par Jean-Luc Sandoz d’une étude donnant des pistes pour réaliser ce but. Parallèlement, Lignum mène un plan d’actions stratégiques basé essentiellement sur la communication de ces potentiels aux mondes politique et économique, notamment par l’organisation de conférences. Jeudi passé à Espace Gruyère, quatre intervenants ont illustré par l’exemple les performances du bois appliqué aux bâtiments industriels et commerciaux, aux constructions publiques et à l’habitat collectif.
Premier intervenant, Jean-Luc Sandoz a présenté les innovations techniques dont lui et son bureau Concept bois technologie sont les auteurs, ainsi que leurs applications. Ses systèmes d’assemblage permettent de diminuer sensiblement la quantité de bois utilisée tout en renforçant les performances des charpentes en terme de résistance et de flexibilité. Mais Sandoz a aussi dépassé le stade de l’ossature des bâtiments pour développer des systèmes de panneaux préfabriqués servant aussi bien pour le toit, le plafond ou les murs. La technique de la taille par ordinateur permet d’ouvrager ces structures jusqu’au stade de la finition.
L’architecte bullois Olivier Charrière a présenté l’exemple du complexe communal et salle polyvalente de Sorens. «Il ne faut pas militer pour que la construction n’utilise plus que du bois. Mais pour qu’elle l’utilise mieux», professe l’architecte. Le bois, ici, n’est que peu visible de l’extérieur: c’est à l’intérieur des façades porteuses et du toit que le bois est utilisé. L’option d’éléments identiques préfabriqués en atelier a permis de gagner 75% de temps sur le chantier par rapport à une construction traditionnelle: les façades et le toit de 500 m2 ont été posés en quatre jours. Une construction sur place aurait demandé six semaines. Il en résulte aussi une meilleure gestion des déchets sur le chantier et un moindre encombrement.
Avec les maîtres charpentiers Thomas Büchi (Genève) et Roland Auderset (Cormondes), on peut se convaincre des possibilités illimitées du bois en matière de style architectural. «Le bois n’a plus de limite esthétique», assure Thomas Büchi. Preuve par l’exemple, avec notamment le fameux Ilot 13, un complexe de logements pour étudiants à Genève. La réalisation, à Carouge, d’immeubles locatifs de cinq étages entièrement en bois ou celle des trois bâtiments du secteur architecture de l’EPFL démontrent que le bois n’a bel et bien plus de limites.

Propos recueillis par Didier Page / 27 novembre 2001

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