Jean-Luc
Sandoz: «Le bois, cest le plus vieux matériau de
lavenir» (C. Haymoz)
La problématique
de lutilisation du bois dans la construction na jamais été
aussi actuelle. Pourquoi?
Nous sommes confrontés au problème écologique général
du réchauffement de la planète dû aux gaz à
effet de serre, dont le CO2. Et la Suisse fait partie des pays pionniers
qui ont pris des engagements pour réduire les émissions
de CO2. La construction est un domaine fortement impliqué dans
ces émissions. Le métal et le béton sont par exemple
des matériaux qui coûtent, en énergie fossile et
en rejet direct de CO2. On doit donc trouver des solutions alternatives.
Le bois, au contraire, est un matériau qui fixe le CO2: pour
«fabriquer» un mètre cube de bois, un arbre «mange»
une tonne de CO2. Et relâche de loxygène.
Deuxième problème, la forêt suisse. Elle est actuellement
en phase de sous-exploitation, de vieillissement, dépaississement
et dinstabilité écologique. Et quand un ouragan
comme Lothar passe par là, ça fait trois fois plus mal
quailleurs. Donc, dun côté il faut trouver
des alternatives et des matériaux plus propres, dun autre
côté il faut davantage utiliser notre forêt, source
naturelle locale. Le bois est providentiel: cest un matériau
local, de proximité, écologique. En face, on a des matériaux
qui ont une charge écologique beaucoup plus importante et qui
sont pour la plupart importés.
Mais en
matière de construction, le bois nest-il pas un matériau
moins durable que les autres?
La durabilité nest pas une question qui concerne le bois
en particulier. Cest une problématique générale
de la construction. Vous savez sans doute que la tour Eiffel est repeinte
tous les sept ans. Regardez les ponts en béton construits après-guerre:
ils doivent tous être restaurés. Pourquoi? Parce que la
construction qui nest pas protégée des intempéries
est moins durable, parce quelle souffre, quelle soit en
bois, en métal ou en béton.
Nous avons différentes classifications. La classe 1, cest
le bâtiment chauffé; la classe 2, le bâtiment semi-exposé,
comme une halle; la classe 3, le bâtiment exposé, comme
un pont; et la classe 4, le bâtiment horizontal au sol, comme
une terrasse. Pour les classes 1 et 2, il ny a aucun problème
de durabilité du bois: le matériau est inerte, il sera
toujours là dans mille ans. En classe 3, il y a des possibilités
de dégradation, mais qui se règlent très facilement
par des détails constructifs qui permettent la ventilation du
bois. En gros, il faut que quand il pleut, leau reparte aussitôt
par le vent. Il ne sagit donc pas dune question de durabilité
du matériau, mais de technicité et de qualité de
mise en uvre. Cest la même chose pour le métal.
Il y a des traitements qui fonctionnent, et il y en a qui ne fonctionnent
pas. Le plus vieux bâtiment de référence en bois
est un temple bouddhiste au Japon qui date du VIIe siècle. Il
y a mille ans, les Japonais ont construit des tours en bois de cent
mètres de haut. Et la raison de leur disparition, ce ne sont
ni les séismes ni la pourriture, mais le feu. Mais aujourdhui,
on sait faire de la prévention au feu. Cest de nouveau
une question de technicité supérieure. Lenseignement,
lexpérience, la culture dentreprise sont importantes.
Des innovations
techniques décisives sont-elles apparues ces dernières
années, qui ont contribué aux hautes performances du bois
dans la construcion?
Il y a eu énormément dévolutions technologiques,
dès les années cinquante. En Suisse, une multitude de
brevets ont été déposés. Moi-même
jen ai déposé 14 ces dix dernières années,
en matière notamment de systèmes dassemblage. Mon
bureau de 15 ingénieurs fonctionne uniquement avec des technologies
qui nexistaient pas il y a cinq ans. Il existe donc des évolutions
énormes, parce que lon se réintéresse au
bois. Mon objectif, cest dêtre compétitif.
Je recherche des solutions économiques, pour pouvoir faire des
bâtiments bon marché.
Construire
en bois, donc, nest pas forcément plus cher
Si on compare le même projet avec la même qualité,
le bois est très compétitif. Mais la plupart du temps,
on conçoit un projet en métal et on nous demande une variante
en bois. Si on doit sadapter à ce qua prévu
le métal, on va être plus cher. Mais linverse est
aussi vrai: si on conçoit un projet en bois et quon demande
une variante en métal, le métal sera plus cher. Parce
que chaque matériau a ses finesses dexpression conceptuelle.
Aujourdhui, je travaille avec des architectes, et je sais très
bien faire des finesses architecturales pour que le métal soit
piégé.
Le bois
local utilisé dans la construction est essentiellement de lépicéa.
Mais dautres sortes de bois sont-elles apparues dans larchitecture?
Cest un grand chapitre. Il y a de nouvelles qualités de
bois, selon de nouvelles normes européennes, et la Suisse est
extrêmement bien placée pour vendre du bois à haute
performance, avec les bois du Jura et des Alpes. Lorsque jétais
chercheur à lEPFL, nous avons développé un
appareil de mesure par ultrasons qui sait reconnaître ces qualités,
et avec lequel on sait maintenant valoriser cette ressource. Notre bois
est très supérieur à ce que lon trouve dans
le reste de lEurope, car on a une forêt daltitude,
et les arbres, poussant moins rapidement, produisent un bois plus dense
et de meilleure qualité. Aujourdhui, sur le marché
européen, on est confronté à du bois russe, néo-zélandais,
chilien. Si vous prenez la classe moyenne, tout le monde est mélangé.
Si vous allez dans le haut de gamme, il ne reste plus grand monde. Cest
le credo que je formule pour le bois suisse. Bien sûr, dautres
sortes de bois peuvent encore être valorisées, comme le
mélèze.
En matière
de résistance, le bois est-il aussi compétitif? On pense
tout de suite à la tempête qui arrive
La construction en bois est bien meilleure sous les tempêtes ou
en cas de séisme que le métal et le béton, par
sa souplesse et par ses assemblages qui absorbent de lénergie.
Ce nest pas pour rien que le Japon, qui subit un ou deux cyclones
ou séismes par année, a développé depuis
des siècles sa culture de la construction en bois. Le Japon est
dailleurs numéro un mondial des outils de coupe. Ils ont
non seulement le savoir-faire, mais ils ont inventé les outils
qui servent ce savoir-faire.
En terme
desthétique et dimage que le bois renvoie au public,
le bois est-il adapté à toutes sortes de bâtiments?
On imagine mal une banque construite en bois
Allez en Finlande ou en Suède, et vous verrez des banques en
bois. Avec le bois, on peut tout exprimer en architecture. On peut le
teindre, le colorer, le décliner, lassocier, on peut faire
du mixte, du bois-verre, du bois-brique, du bois-pierre
On arrive
à tout faire. Dailleurs de très grands architectes
savent très bien lutiliser. Botta a fait des trucs fabuleux,
Richard Rogers vient de faire le tribunal de Bordeaux, qui est fantastique.
Notre slogan, cest: «Le bois, le plus vieux matériau
de lavenir». Et en Suisse, il y a un vrai engouement.
Quen
est-il de la formation des architectes en matière de construction
en bois?
Effectivement, quand on veut faire du développement, il faut
suivre avec la formation. Formation dans la production les charpentiers
et formation des planificateurs les architectes et les
ingénieurs. En 1978, lEPFL et le professeur Julius Natterer
ont créé la première chaire du bois au monde. A
lépoque, les architectes en formation et les ingénieurs
ne connaissaient pas le bois. Dans les ETS, en génie civil, on
en parlait très peu. Maintenant, il y a un engouement phénoménal.
A lheure où je vous parle, en Europe, on recrute 18 postes
de professeur dUniversité pour enseigner le bois. Tout
le monde a compris, du nord jusquau sud de lItalie, quil
faut développer ce secteur. Donc, il faut dabord recréer
linfrastructure des formateurs, pour avoir ensuite des gens formés.
Mais il y a encore beaucoup à faire. La Suisse a été
pionnière avec la chaire du bois à lEPFL. Hélas,
aujourdhui, lEPFL se de-mande si elle va conserver cette
chaire ou non. En 1978, la Suisse avait la première chaire du
bois au monde, et peut-être quen 2004 on sera le seul pays
en Europe à ne plus avoir de chaire de bois. Espérons
que cette perspective ne se produira pas.
Il
faut mieux utiliser le bois
Comment doubler
la consommation de bois dans le canton de Fribourg? Plus quune
question, cest un objectif que sest fixé lassociation
Lignum, communauté daction fribourgeoise en faveur du bois,
lors de son assemblée annuelle de lan 2000. Sest
ensuivie la réalisation par Jean-Luc Sandoz dune étude
donnant des pistes pour réaliser ce but. Parallèlement,
Lignum mène un plan dactions stratégiques basé
essentiellement sur la communication de ces potentiels aux mondes politique
et économique, notamment par lorganisation de conférences.
Jeudi passé à Espace Gruyère, quatre intervenants
ont illustré par lexemple les performances du bois appliqué
aux bâtiments industriels et commerciaux, aux constructions publiques
et à lhabitat collectif.
Premier intervenant, Jean-Luc Sandoz a présenté les innovations
techniques dont lui et son bureau Concept bois technologie sont les
auteurs, ainsi que leurs applications. Ses systèmes dassemblage
permettent de diminuer sensiblement la quantité de bois utilisée
tout en renforçant les performances des charpentes en terme de
résistance et de flexibilité. Mais Sandoz a aussi dépassé
le stade de lossature des bâtiments pour développer
des systèmes de panneaux préfabriqués servant aussi
bien pour le toit, le plafond ou les murs. La technique de la taille
par ordinateur permet douvrager ces structures jusquau stade
de la finition.
Larchitecte bullois Olivier Charrière a présenté
lexemple du complexe communal et salle polyvalente de Sorens.
«Il ne faut pas militer pour que la construction nutilise
plus que du bois. Mais pour quelle lutilise mieux»,
professe larchitecte. Le bois, ici, nest que peu visible
de lextérieur: cest à lintérieur
des façades porteuses et du toit que le bois est utilisé.
Loption déléments identiques préfabriqués
en atelier a permis de gagner 75% de temps sur le chantier par rapport
à une construction traditionnelle: les façades et le toit
de 500 m2 ont été posés en quatre jours. Une construction
sur place aurait demandé six semaines. Il en résulte aussi
une meilleure gestion des déchets sur le chantier et un moindre
encombrement.
Avec les maîtres charpentiers Thomas Büchi (Genève)
et Roland Auderset (Cormondes), on peut se convaincre des possibilités
illimitées du bois en matière de style architectural.
«Le bois na plus de limite esthétique», assure
Thomas Büchi. Preuve par lexemple, avec notamment le fameux
Ilot 13, un complexe de logements pour étudiants à Genève.
La réalisation, à Carouge, dimmeubles locatifs de
cinq étages entièrement en bois ou celle des trois bâtiments
du secteur architecture de lEPFL démontrent que le bois
na bel et bien plus de limites.
Propos
recueillis par Didier Page
/
27 novembre 2001