PAYS-D'ENHAUT Au Grand Chalet de Rossinière
L’œil de Cartier-Bresson

Depuis de nombreuses années, une solide amitié s’est tissée entre Balthus et les photographes Henri Cartier-Bresson et son épouse Martine Franck. Durant leurs nombreux séjours au Grand Chalet, tous deux ont réalisé de magnifiques portraits du peintre. A découvrir cet été à Rossinière.


Balthus, autoproclamé «Roi des chats», s’est laissé attraper comme une souris par le félin (Cartier-Bresson © H. Cartier-Bresson)

 

Assis sur un canapé élimé, vêtu d’un simple training et d’une jaquette en laine, Balthus caresse affectueusement un chat… Ce portrait photographique, pris par Martine Franck en 1999, condense à lui seul le caractère de l’illustre pensionnaire du Grand Chalet, disparu en février 2001. Plus loin, le peintre, assis dans son fauteuil, tient vigoureusement la main d’Anna Wahli, son dernier modèle, comme assise sur ses genoux. L’enfant lascive des tableaux Le chat au miroir détourne de l’objectif son regard d’adolescente. Capturé en 1999, ce cliché est sans doute l’un des derniers d’Henri Cartier-Bresson, qui devrait, si sa santé le permet, être présent à Rossinière ce week-end.

Une longue amitié
Balthus et Henri Cartier-Bresson: apparemment rien ne prédestinait la rencontre de ces deux figures majeures de l’art du XXe siècle. Le premier excelle dans la représentation d’un temps figé – souvent celui de l’adolescence – immuable et savamment construit dans l’ascétisme de son atelier. Tandis que le second triomphe dans la représentation du monde réel, parcourant la planète à la recherche de ses instants décisifs.
De longue date cependant, une amitié s’est tissée entre le peintre de Rossinière et le photographe parisien. Tous deux sont mondialement connus, tous deux sont nés la même année, en 1908, tous deux partagent la même passion pour la peinture, tous deux revendiquent ce côté «vieille France» un peu désuet. Autant de points communs qui ont forgé leur tendresse réciproque.
Invités à de nombreuses reprises dans le Pays-d’Enhaut, Henri Cartier-Bresson et son épouse Martine Franck, elle aussi photographe, ont capturé l’atmosphère particulière du Grand Chalet. De nombreux portraits bien sûr, dans la lignée de ceux qu’il a réalisé des grands peintres du XXe siècle tels Picasso, Matisse ou Giacometti.

Instants «volés»
Mais aussi des instants «volés» dans l’atelier du maître ou à l’heure de la traditionnelle cérémonie du thé. Quant à Martine Franck, elle a également réussi des clichés poignants, comme cette chaise couverte de pinceaux ou ce portrait de Balthus en compagnie de son épouse Setsuko.
Aujourd’hui, cette vingtaine de photographies ressortent de l’oubli et font l’objet à la fois d’une exposition au Grand Chalet et d’un magnifique catalogue.
Depuis les années 1970, Henri Cartier-Bresson a délaissé son Leica pour revenir à la peinture qu’il pratiquait déjà dans sa jeunesse. Depuis, il n’empoigne son appareil qu’exceptionnellement, un peu à l’image de son ami Jacques Henri Lartigue, pour photographier ses amis et son quotidien. Sans ambition, juste pour le plaisir.

Le chat et la souris
C’est sans doute cette rareté qui donne une force toute particulière aux clichés pris à Rossinière. Alors que Balthus cultive son image de peintre cloîtré, alors qu’il déteste être pris en photo, Henri Cartier-Bresson apprivoise son hôte. Balthus, autoproclamé «Roi des chats», s’est laissé attraper comme une souris par le félin Cartier-Bresson.
En totale confiance, Balthus a accepté de se dévoiler. Jusqu’à l’extrême intimité, comme sur cette magnifique image de Martine Franck prise en 1999. Assis dans sa chaise roulante et coiffé d’un bonnet en fourrure, le peintre tient sa canne avec le sourire coquin d’un enfant qui vient de chiper un morceau de chocolat dans le garde-manger. Un portrait d’une simplicité bouleversante, d’une vérité déconcertante.
Grâce à ces photographies, on découvre aujourd’hui une face cachée de Balthus. Celle d’un vieil homme, grand-papa gâteau, qui paraît tout à coup beaucoup moins féroce qu’on ne l’imaginait.

Henri Cartier-Bresson et Martine Franck chez Balthus, édité par la Fondation BalthusRossinière, Grand Chalet, du 4 juillet au 3 octobre, de mercredi à dimanche, de 14 h à 18 h

Christophe Dutoit
3 juillet 2004

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