MAGAZINE Basilique Notre-Dame

La crèche en œuvre d’art

Restaurée et installée dans un nouveau décor, la crèche napolitaine de la basilique Notre-Dame, à Fribourg, a retrouvé sa splendeur. Grâce à un travail minutieux, réalisé selon les méthodes de l’époque. Unique en Suisse, elle compte plus de 70 figurines, dont les plus anciennes datent du XVIIIe siècle.


La crèche napolitaine mêle l’Annonciation, la Nativité et des scènes de la vie quotidienne du XVIIIe siècle

Depuis 1940, la basilique Notre-Dame, à Fribourg, abrite une crèche napolitaine du XVIIIe siècle, unique en Suisse. Un trésor qui vient de retrouver sa splendeur, grâce à une minutieuse restauration et à la création d’un décor mieux adapté.
«Normalement, un restaurateur ne crée pas. C’était un travail fantastique.» En charge de la restauration, Christophe Zindel (qui était déjà coresponsable du Panorama de la bataille de Morat) s’est aussi vu confier le nouveau décor. «Dans un premier temps, il était prévu de travailler avec des spécialistes napolitains», explique Ivan Andrey, responsable cantonal des biens culturels meubles. «Mais aujourd’hui, à Naples, on utilise des matériaux modernes, poursuit le restaurateur. Alors que nous avons travaillé exactement comme au XVIIIe siècle.»
Avant la création du décor, les 75 figurines – dont les plus grandes approchent les 40 cm – ont nécessité des soins intensifs. «Il y a quatre ans, leur état était catastrophique, relève Christophe Zindel. La paroi était posée contre le mur de l’église et l’humidité a attaqué les figurines.» Moisissures, mites et cirons ont abîmé les tissus et le bois. Au point que «certains pieds ne tenaient plus que par la peinture».
C’est qu’elles sont fragiles, ces figurines: autour d’une armature métallique, leur corps est fabriqué en paille, avec des membres en bois et des têtes en terre cuite. Fragiles, mais d’une force évocatrice rare: leurs articulations permettent «une mise en scène très souple, l’attitude et les gestes de chacune étant adaptés au moment de son placement», écrit Raoul Blanchard dans la brochure qui accompagne la fin de la restauration. Les yeux, peints sous verre, donnent en outre une intensité particulière à leur regard.

Scènes quotidiennes
La disposition des personnages, qui respecte la perspective et les proportions, s’est inspirée de la crèche de Cuciniello, du Museo San Martino de Naples, dont la mise en place date de 1879. «Une des contraintes était de se contenter des personnages existants, explique Ivan Andrey. Celle de Cuciniello en compte environ 250: il s’agissait donc d’évoquer cette richesse avec moins de personnages.»
Restaurée et réinstallée, la crèche de Notre-Dame comprend les scènes incontournables, dans des rochers réalisés en écorce: l’Annonciation se trouve à gauche, la Nativité et le Cortège des rois, au centre, devant une ruine romaine, datée de 1935. La partie de droite est consacrée à des scènes de la vie quotidienne: une taverne en plein air, où l’on boit, mange et joue de la musique, un marché et des maisons très réalistes, recouvertes de véritable crépi à la chaux.
«Dans la tradition napolitaine, les figurines sont si nombreuses que la Nativité devient accessoire», relève Ivan Andrey. Les commanditaires se battaient en effet pour avoir la plus belle crèche. Si ces scènes quotidiennes illustrent la vie trépidante de Naples au XVIIIe, elles soulignent aussi l’indifférence face à la sainte Famille. «A l’opposé de l’Annonce aux bergers, le village ne se rend pas compte de ce qui se passe.» Une indifférence encore accentuée par la présence de courtisanes au balcon des maisons. Quant au temple romain, il exprime à la fois «la ruine du monde ancien et l’expression de l’actualité napolitaine. Car au XVIIIe siècle, on découvre Hercu-lanum et Pompéi.»

Art unique au monde
Ce qui frappe également dans cette crèche de 3,5 m sur 2,5 m, c’est cette manière d’individualiser les personnages. «Les commanditaires étaient issus de l’aristocratie, poursuit Ivan Andrey. Mais les figurines représentent le peuple napolitain du XVIIIe siècle.» Ce qu’il met en parallèle avec «l’intérêt ethnographique pour les types populaires, à cette époque, dans tous les pays. En Suisse, on le voit dans des gravures.»
Surtout, les crèches napolitaines se distinguent par leur «haute qualité artistique», selon Ivan Andrey. «Des sculpteurs importants ont réalisé des figurines. Et les décors étaient souvent conçus et réalisés par des metteurs en scène de théâtre.» Au point que cet art des crèches, dont la tradition se poursuit aujourd’hui, «n’a pas d’équivalent dans le monde».

«Surprenante à Fribourg»

«Cette crèche est arrivée ici grâce à un concours de circonstances favorables», explique Ivan Andrey, responsable cantonal des biens culturels meubles. Son acquisition est due à Mgr John Rast (1895-1981), recteur de Notre-Dame
dès 1929. Et secrétaire particulier de Mgr Filippo Bernardini, nonce apostolique à Berne, qui a trouvé cette crèche napolitaine en 1940, chez un antiquaire de Rome.
«C’est exceptionnel qu’une église comme Notre-Dame achète une telle crèche, affirme Ivan Andrey. Surprenante à Fribourg, elle tranche avec la tradition sulpicienne.» Son hypothèse: l’achat peut s’expliquer par le fait que «Notre-Dame était basilique depuis 1932. Son modèle était Santa Maria Maggiore, à Rome, où se trouve une relique de la Crèche.»
Un premier décor a été mis en place pour Noël 1941. Le vol de plusieurs animaux, l’année suivante, contraint à la protéger par une vitre. Mais la crèche était toujours montée et démontée chaque année. En 1965, elle est installée de manière permanente, dans une vitrine, et complétée d’un ciel et d’un sol.
Aujourd’hui, les nouveaux panneaux de bois de l’arrière de la vitrine sont placés à 5 cm des murs, désormais isolés. Un circuit de fils de cuivre tempère cet espace. La température intérieure est stabilisée entre 16 et 17 degrés, avec 50% d’humidité. Sur la droite, une deuxième ouverture permet un autre point de vue sur l’entrée du village.
L’ensemble de la restauration a coûté 240000 francs. Elle a aussi permis de dater les figurines, réalisées aux XVIIIe et XIXe siècles. La ruine romaine, seul élément conservé de l’ancien décor, date de 1935. Unique en Suisse («Il existe des modules, mais pas de crèches entières», précise le restaurateur Christophe Zindel), cette œuvre est protégée par un store, qui s’ouvre contre une pièce de monnaie. Dès demain et jusqu’au 6 janvier, le rideau restera toutefois ouvert de 9 h à 18 h.


Eric Bulliard
23 décembre 2003

Une I Editorial I Gruyere I Veveyse/Glâne I Fribourg

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