Vous
ne connaissez peut-être pas le nom de Benedikt Rast. Mais vous
connaissez à coup sûr ses photographies. Ou plutôt
ses cartes postales. Autant deffigies religieuses, de paysages
bucoliques, des vues de la Basse, qui ont donné de Fribourg une
image de Ville éternelle.
«Ma mère a envoyé durant vingt ans des cartes de
Rast. Pour Noël ou pour Pâques, pour des condoléances
ou pour des noces: il y a une image pour chaque occasion», se
souvient Alex E. Pfingsttag, conservateur du patrimoine audiovisuel
fribourgeois et responsable du choix des images pour la grande exposition
que la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) de Fribourg
consacre au photographe jusquau 7 février 2004.
Beauté
classique
Dix ans après sa disparition, Benedikt Rast (1905-1993)
demeure dans le cur des Fribourgeois comme le photographe de la
beauté classique. Létude approfondie de ses archives,
qui ont fait lobjet dune donation au Médiacentre
en 1995, met aujourdhui en lumière la diversité
de ses regards. On peut ainsi observer que, au-delà de la représentation
ultraconnue de ses cartes postales et de son activité commerciale
de portraitiste, Rast a développé une iconographie hantée
par la religion et la spiritualité.
«Tous les matins, vers 7 h 30, il allait à la messe en
latin», rappelle Alex E. Pfingsttag. Miracle du hasard ou simple
coïncidence, son atelier se trouvait, dès 1958, sur les
hauts de la rue de Lausanne, à quelques pas de lEvêché
Catholique convaincu, il a dabord puisé ses sources dinspiration
dans les églises, dont il photographiait les fresques et la statuaire.
Avec lobsession dun esthète, il captait le regard
élevé des Apôtres de Hans Geiler ou le visage, touché
par la grâce, du Christ du Saint-Sépulcre au couvent de
la Maigrauge.
Religion
commerciale
«A cette époque, le séminaire était
important à Fribourg. Il y avait tout un
commerce autour de la religion», explique Emmanuel Schmutz, directeur
adjoint de la BCU. Un marché «providentiel» pour
Rast qui, sur commande de revues catholiques dun «Christ
en croix, avec cent grammes de nuages derrière», nhésitait
pas à dramatiser le ciel pour lui donner davantage de profondeur.
Quimporte le sujet sculpture, arbre en fleur ou portrait
Benedikt Rast «est passé maître dans liconographie
de la représentation de la spiritualité par la lumière»,
analyse Emmanuel Schmutz. Il savait capter un rai de lueur dans la fumée
dun encens, un contre-jour dans le brouillard dune clairière.
Pour obtenir, consciemment, une image «habitée» de
présence divine, telle une évocation métaphysique
de la flamme qui éclaira les apôtres à la Pentecôte.
Dinspiration
classique
«Reconnaissable à son nud papillon ou à
sa lavallière qui en faisait une silhouette dartiste empruntée
aux poètes et aux peintres des siècles passés,
il éclaira et cadra son monde à son image, créant
un style parfaitement identifiable», écrit Emmanuel Schmutz
dans le catalogue de lexposition publié aux Editions La
Sarine. Peu influencé par ses contemporains, Rast préférait,
à la modernité de lavant-garde, le classicisme pictural.
Nallez pas chercher dans ses images une audace de cadrage ni un
élan de lyrisme. Ainsi cette sur du couvent de la Visitation
rappelle-t-elle un portrait du peintre flamand Vermeer. Ou ce «chapelet
autour de la table» sinspire-t-il de la Cène de Leonard
de Vinci.
Décrit comme solitaire, patient et pas très causant, il
«demandait à ses assistants de faire rire les enfants qui
posaient dans son atelier». Photographe du temps qui passe, Rast
privilégiait la lenteur du geste, jouant de la lumière
comme un sculpteur et des clairs-obscurs comme un peintre.
Images
intemporelles
Comme pour mieux marquer encore son attachement à la tradition,
lartiste na jamais daté ses clichés. «Au
début, on sest cassé la tête pour essayer
de reconstituer une chronologie, explique Alex E. Pfingsttag. Mais ni
ses sujets, ni son style, qui na pas évolué durant
sa carrière, ne donnaient dindications claires et nous
avons vite abandonné.»
Limpossibilité de millésimer les images renforce
lintemporalité de son uvre. «Comme si Rast
voulait préserver la dimension poétique et symbolique
de ses clichés, au profit de ses aspects documentaires»,
relève Emmanuel Schmutz.
Souvent considéré comme un «aristocrate de la photographie»,
Benedikt Rast laissera la trace, un peu à limage de Simon
Glasson, dun artiste contemplatif et profondément mystique.
Et très en phase avec le Fribourg catholique du XXe siècle.
Fribourg,
BCU, la semaine de 8 h à 22 h et le samedi de 8 h à 16
h. Jusquau 7 février 2004
Benedikt Rast, Editions La Sarine
Clichés
sauvés de la benne
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Il sen
est fallu dun rien pour que les archives de Benedikt Rast
soient définitivement perdues
En effet, un matin
de 1985, quelle ne fut pas sa surprise lorsquun fonctionnaire
de lEtat trouva des milliers de portraits de Benedikt
Rast dans une benne à ordures! Alertée par le
bienveillant, la BCU est parvenue à temps à convaincre
le photographe de léguer son fonds au patrimoine fribourgeois.
Aujourdhui, le fonds Rast, riche de quelque 20000 négatifs,
a été étudié et reclassé
par lhistorienne de lart Sylvie Genoud. A partir
du choix du photographe quatre mille clichés quil
a soigneusement tirés, collés sur carton et archivés
dans des classeurs le Médiacentre a déjà
sélectionné 1377 images qui peuvent être
consultées sur son site internet (www.fr.ch/bcu). «A
terme, nous pensons mettre en ligne environ 3000 photos, qui
offriront un pano-rama global de luvre de Rast»,
assure Alex E. Pfingsttag.
Soutiens
extérieurs
Afin de poursuivre son étude, la BCU compte sur
des soutiens extérieurs, soit financiers, soit détudiants
en histoire de lart préparant leur licence. «Nous
espérons aussi rééditer Fribourg pittoresque,
le livre que Rast avait publié avec Marcel Strub en 1966»,
dit Emmanuel Schmutz.
Quant aux autres fonds photographiques du canton, le Médiacentre
poursuit linventaire de luvre de Jacques Thévoz
(77000 images) qui devrait faire lobjet dun catalogue
dici 2005. Et sattaquera prochainement aux archives
de Johann et Jean Mülhauser, données à la
BCU en juin dernier.
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