MAGAZINE - TRAIT POUR TRAIT Benedikt Rast

Fribourg mystique et intemporel

Il y a dix ans, Benedikt Rast s’éteignait silencieusement, comme un rai de lumière qui s’estompe dans la pénombre. Photographe hanté par la beauté et la pureté des formes, il a donné de Fribourg une image de Ville éternelle. La BCU, qui gère ses archives, lui offre une première rétrospective jusqu’au 7 février.


A gauche: Très influencé par la peinture classique, Rast a dû photographier cette sœur du couvent de la Visitation en référence au peintre flamand Vermeer
A droite: Rast était passé maître dans la confection d’images «habitées» de présence divine

Vous ne connaissez peut-être pas le nom de Benedikt Rast. Mais vous connaissez à coup sûr ses photographies. Ou plutôt ses cartes postales. Autant d’effigies religieuses, de paysages bucoliques, des vues de la Basse, qui ont donné de Fribourg une image de Ville éternelle.
«Ma mère a envoyé durant vingt ans des cartes de Rast. Pour Noël ou pour Pâques, pour des condoléances ou pour des noces: il y a une image pour chaque occasion», se souvient Alex E. Pfingsttag, conservateur du patrimoine audiovisuel fribourgeois et responsable du choix des images pour la grande exposition que la Bibliothèque cantonale et universitaire (BCU) de Fribourg consacre au photographe jusqu’au 7 février 2004.

Beauté classique
Dix ans après sa disparition, Benedikt Rast (1905-1993) demeure dans le cœur des Fribourgeois comme le photographe de la beauté classique. L’étude approfondie de ses archives, qui ont fait l’objet d’une donation au Médiacentre en 1995, met aujourd’hui en lumière la diversité de ses regards. On peut ainsi observer que, au-delà de la représentation ultraconnue de ses cartes postales et de son activité commerciale de portraitiste, Rast a développé une iconographie hantée par la religion et la spiritualité.
«Tous les matins, vers 7 h 30, il allait à la messe en latin», rappelle Alex E. Pfingsttag. Miracle du hasard ou simple coïncidence, son atelier se trouvait, dès 1958, sur les hauts de la rue de Lausanne, à quelques pas de l’Evêché…
Catholique convaincu, il a d’abord puisé ses sources d’inspiration dans les églises, dont il photographiait les fresques et la statuaire. Avec l’obsession d’un esthète, il captait le regard élevé des Apôtres de Hans Geiler ou le visage, touché par la grâce, du Christ du Saint-Sépulcre au couvent de la Maigrauge.

Religion commerciale
«A cette époque, le séminaire était important à Fribourg. Il y avait tout un
commerce autour de la religion», explique Emmanuel Schmutz, directeur adjoint de la BCU. Un marché «providentiel» pour Rast qui, sur commande de revues catholiques d’un «Christ en croix, avec cent grammes de nuages derrière», n’hésitait pas à dramatiser le ciel pour lui donner davantage de profondeur.
Qu’importe le sujet – sculpture, arbre en fleur ou portrait – Benedikt Rast «est passé maître dans l’iconographie de la représentation de la spiritualité par la lumière», analyse Emmanuel Schmutz. Il savait capter un rai de lueur dans la fumée d’un encens, un contre-jour dans le brouillard d’une clairière. Pour obtenir, consciemment, une image «habitée» de présence divine, telle une évocation métaphysique de la flamme qui éclaira les apôtres à la Pentecôte.

D’inspiration classique
«Reconnaissable à son nœud papillon ou à sa lavallière qui en faisait une silhouette d’artiste empruntée aux poètes et aux peintres des siècles passés, il éclaira et cadra son monde à son image, créant un style parfaitement identifiable», écrit Emmanuel Schmutz dans le catalogue de l’exposition publié aux Editions La Sarine. Peu influencé par ses contemporains, Rast préférait, à la modernité de l’avant-garde, le classicisme pictural. N’allez pas chercher dans ses images une audace de cadrage ni un élan de lyrisme. Ainsi cette sœur du couvent de la Visitation rappelle-t-elle un portrait du peintre flamand Vermeer. Ou ce «chapelet autour de la table» s’inspire-t-il de la Cène de Leonard de Vinci.
Décrit comme solitaire, patient et pas très causant, il «demandait à ses assistants de faire rire les enfants qui posaient dans son atelier». Photographe du temps qui passe, Rast privilégiait la lenteur du geste, jouant de la lumière comme un sculpteur et des clairs-obscurs comme un peintre.

Images intemporelles
Comme pour mieux marquer encore son attachement à la tradition, l’artiste n’a jamais daté ses clichés. «Au début, on s’est cassé la tête pour essayer de reconstituer une chronologie, explique Alex E. Pfingsttag. Mais ni ses sujets, ni son style, qui n’a pas évolué durant sa carrière, ne donnaient d’indications claires et nous avons vite abandonné.»
L’impossibilité de millésimer les images renforce l’intemporalité de son œuvre. «Comme si Rast voulait préserver la dimension poétique et symbolique de ses clichés, au profit de ses aspects documentaires», relève Emmanuel Schmutz.
Souvent considéré comme un «aristocrate de la photographie», Benedikt Rast laissera la trace, un peu à l’image de Simon Glasson, d’un artiste contemplatif et profondément mystique. Et très en phase avec le Fribourg catholique du XXe siècle.

Fribourg, BCU, la semaine de 8 h à 22 h et le samedi de 8 h à 16 h. Jusqu’au 7 février 2004
Benedikt Rast
, Editions La Sarine

Clichés sauvés de la benne

Il s’en est fallu d’un rien pour que les archives de Benedikt Rast soient définitivement perdues… En effet, un matin de 1985, quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’un fonctionnaire de l’Etat trouva des milliers de portraits de Benedikt Rast dans une benne à ordures! Alertée par le bienveillant, la BCU est parvenue à temps à convaincre le photographe de léguer son fonds au patrimoine fribourgeois.
Aujourd’hui, le fonds Rast, riche de quelque 20000 négatifs, a été étudié et reclassé par l’historienne de l’art Sylvie Genoud. A partir du choix du photographe – quatre mille clichés qu’il a soigneusement tirés, collés sur carton et archivés dans des classeurs – le Médiacentre a déjà sélectionné 1377 images qui peuvent être consultées sur son site internet (www.fr.ch/bcu). «A terme, nous pensons mettre en ligne environ 3000 photos, qui offriront un pano-rama global de l’œuvre de Rast», assure Alex E. Pfingsttag.

Soutiens extérieurs
Afin de poursuivre son étude, la BCU compte sur des soutiens extérieurs, soit financiers, soit d’étudiants en histoire de l’art préparant leur licence. «Nous espérons aussi rééditer Fribourg pittoresque, le livre que Rast avait publié avec Marcel Strub en 1966», dit Emmanuel Schmutz.
Quant aux autres fonds photographiques du canton, le Médiacentre poursuit l’inventaire de l’œuvre de Jacques Thévoz (77000 images) qui devrait faire l’objet d’un catalogue d’ici 2005. Et s’attaquera prochainement aux archives de Johann et Jean Mülhauser, données à la BCU en juin dernier.


Christophe Dutoit
2 déc embre 2003

Une I Editorial I Gruyere I Veveyse/Glâne I Fribourg

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