Vous êtes connus loin à la ronde pour les saveurs particulières
de votre cuisine, agrémentée de plantes sauvages. Où
puisez-vous vos idées et leur originalité?
J.-B. Fasel: La source principale est certainement lintuition.
Il faut être prêt à écouter ce qui se passe
à lintérieur de soi. Mais cest aussi les contacts
avec la nature. Peut-être la mémoire, non?
J. Baumann: Oui, quand vous aimez quelque chose, vous allez remarquer
tout ce qui a une relation avec cette chose. Cest comme un petit
fil rouge. Prenez un musicien, il va entendre tout le temps des sons
et ce quil entend va nourrir son propre son. Pour moi, cest
la vision qui est importante. Si je vais au Maroc ou en Inde, je vais
voir une épice ou une forme que vous ne verrez pas. Toutes ces
images, je vais les mettre dans un coin de ma mémoire. Cest
là que je viens fouiller quand je cherche des idées. Je
fais une cuisine personnelle. Une assiette, cest un extrait de
ce dont je me suis «nourrie» jusque-là.
Comment avez-vous évolué vers cette cuisine sophistiquée?
J. Baumann: Il y a des gens qui sont poussés vers une
sorte délaboration plus ou moins compliquée et dautres
qui restent plus simples. Je fais partie de la première catégorie.
Mais on est soi-même étonné de ce quon découvre
quand on sinvestit dans un travail.
J.-B. Fasel:
Et quon laisse sa nature sexprimer.
Vos menus sont toujours soutenus par une histoire, accompagnés
de textes poétiques. Comment sont définis les thèmes?
J.-B. Fasel: Les idées sont souvent discutées entre
nous. Cela peut être une abstraction, un produit ou un voyage.
Parfois, le poème supporte le produit, parfois cest le
contraire. Il faut alors inventer une histoire. Cette façon de
présenter les menus est appréciée ou non. Cest
une façon de faire, personnelle. Mais comme pour la cuisine,
personnel nest pas synonyme de qualité. De toute façon
quest-ce que la qualité? Cest une manie de la comparaison.
Une manie qui mène notamment à lédition de
guide. «GaultMillau» vous a attribué seize points
dans sa dernière édition. Quelle est votre position par
rapport à ces ouvrages?
J. Baumann: Economiquement, ils ont une grande importance pour une maison.
Ils vous font connaître. Et on aime aussi bien être flatté.
Pour nous, cest un drôle de débat. Au départ,
nous avons choisi une cuisine qui nest pas à comparer.
Nous avons voulu être différents. Puis là, nous
voulons être cotés comme tout le monde, être jugés
comme tout le monde, avec les mêmes critères.
Vous avez déjà pensé à en sortir?
J. Baumann: Oui, bien sûr, on gagnerait en indépendance,
mais ce ne serait pas très correct. Cest un peu facile,
maintenant que notre réputation est faite. Nous aurions dû
choisir de ne pas entrer dans ce système dès le départ.
Et cest à double tranchant. Moi, quand je voyage, jutilise
des guides. Donc, ils nous amènent toujours de nouveaux clients.
Quelle est justement la clientèle que vous attirez?
J.-B. Fasel: Nous navons pas un public cible. Nos clients
viennent de toute la Suisse. Le bouche à oreille et la presse
sont notre meilleure promotion. Les gens vont raconter à leurs
amis quil se passe quelque chose doriginal ici. Tout le
monde est à la recherche de choses qui sortent de lordinaire
aujourdhui. Jentends souvent dire: cest unique. Ça
ne veut pas dire que cest moins bon ailleurs, mais que ce que
nous faisons est différent. Et étonnamment cette différence
nous amène toutes les classes de la population.
Certains vous ont parfois reproché de pratiquer une cuisine trop
sophistiquée, tant dans la décoration que dans le mélange
de saveurs. Quen est-il?
J. Baumann: Nous sommes revenus à quelque chose de plus
simple.
J.-B.
Fasel: Mais nest-ce pas normal? Pour exprimer une partie de
soi telle quelle est à un moment donné, on va toujours
plus loin, toujours plus loin
Jusquà lépuisement.
A limage du balancier qui va jusquau bout de sa course.
On repart ensuite vers le point neutre.
Le décor simple et rustique de cette pinte de montagne soppose
à la sophistication des assiettes. Un contraste que vous entretenez?
J. Baumann: Le décor est simple en effet. Il permet aux
clients de se détendre. Leur attente nest pas la même
que sils se trouvaient dans une très belle maison stylisée.
Alors quand lassiette arrive, plus travaillée, cela crée
un événement.
J.-B. Fasel: Beaucoup de gens sont surpris que notre affaire
marche en étant éloignée et isolée. Mais
cest un privilège, parce quon est loin de tout, loin
du monde et de nos concurrents. Si nous avions été dans
une pinte normale, il ny aurait peut-être pas eu cette possibilité.
Et surtout, nous avons osé écouter notre intuition. Qui
a dit que ce genre de cuisine, ces menus à thème, cette
manière de les présenter attireraient du monde? Il y a
une part de mystère, qui ne nous appartient pas.
Judith
Baumann en quelques lignes
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Judith
Baumann, née à Tavel en 1956, est devenue cuisinière
et grand chef en autodidacte, après sêtre
adonnée au tissage à la main, au service et à
la restauration de maison. Si elle est lune des rares
femmes grand chef, elle le considère plutôt comme
un avantage. «On est plus facilement remarquée»,
observe-t-elle. Son premier contact avec la cuisine avait eu
lieu au Foyer pour apprentis, à Fribourg, dans le milieu
des années huitante. Puis en 1988, elle sinstalle
à la Pinte des Mossettes, au-dessus de Cerniat. Cest
la fin dun parcours quelle qualifie elle-même
de chaotique et dont elle a de la peine à se souvenir
avec précision. Commence alors laventure de cette
pinte de montagne simple où Judith Baumann développe
une cuisine particulière et sophistiquée à
laquelle se mêlent les saveurs des plantes sauvages.
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Jean-Bernard
Fasel en quelques lignes
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Jean-Bernard
Fasel, né en 1950, a étudié la littérature
française quil enseigne pendant une année.
Une branche quil délaisse ensuite pour se lancer
dans un élevage de lapins, à Montagny-la-Ville,
avant de tenir un club privé, à Fribourg. Le Staviacois
dorigine sexpatrie ensuite vers lItalie où
il sétablit pour une dizaine dannées,
dans une petite bourgade proche de Rome. Son restaurant attire
les citadins, surtout durant le week-end. En 1990, Jean-Bernard
Fasel rejoint son amie de longue date Judith Baumann, à
la Pinte des Mossettes. Depuis, il saffaire à laccueil
et à la gestion de létablissement. Dans
ce lieu à lécart, son goût pour la
littérature et lécriture a resurgi. Et il
compose désormais les proses poétiques qui accompagnent
et présentent les menus.
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