Parce
quil a conscience dêtre un privilégié,
Harold Mrazek sait quil doit quelque chose à la vie. Ses
parents ayant fuit la Tchécoslovaquie communiste en 1970, la
famille Mrazek sest épanouie dans un contexte heureux en
ville de Fribourg. «Mon père et ma mère, tous deux
basketteurs, ont profité dune tournée en France
avec léquipe nationale de Tchécoslovaquie pour fuir
le régime. Ils ont quitté leur pays valise à la
main, sans dire au revoir à leurs familles. Quand je vois la
qualité de nos vies, à mon frère, ma sur
et moi, je me dis que nous pouvons les remercier.» Se sentant
redevable, le basketteur le plus titré de Suisse est donc devenu
un type bien.
Après avoir faussé compagnie à leurs dirigeants,
Célestin et Ivana Mrazek ont, pendant deux ans, joué dans
le Nord de la France, à Arras. Puis le père décroche
un poste dentraîneur-joueur à Fribourg Olympic. «On
lui offrait également un travail en tant que maître de
sports. Lopportunité était belle.» La maman,
elle, fera les beaux jours du club féminin City Fribourg. Les
gènes maternels sont dailleurs dominants chez le joueur
le plus élégant de sa génération. «Physiquement,
je suis plus proche de ma mère. Elle était très
agile dans sa façon de jouer. Mon père était plutôt
un pivot lourd.»
Si laînée des Mrazek, Noële, est née
en France en 1971, Harold a vu le jour à Fribourg, le 17 avril
1973. Très tôt, la famille sest établie dans
le quartier du Guintzet, où les parents habitent encore aujourdhui.
Mais cest en Gruyère que remontent les premiers souvenirs
denfance. «Mes parents louaient un chalet à Cerniat,
puis à Sorens. Avant que jaille à lécole,
nous passions des semaines entières dans la région. En
hiver, nous étions devenus maîtres dans lart de descendre
les pistes de ski de Sorens. Mes grands-parents restaient trois mois
par année en Suisse. Les seuls souvenirs que jai de mon
grand-papa se trouvent ici. Je le revois encore sur les pentes du Moléson.»
Quand
le hasard sen mêle
«Pour mes parents, la Suisse, cétait le paradis.
Socialement, leur vie navait plus rien à voir avec celle
davant. Ils se sont si vite intégrés que nous, les
enfants, navons rien ressenti de particulier.» Le hasard
a fait que deux anciens coéquipiers en ex-Tchécoslovaquie
se retrouvent à Fribourg. «Mon père et Robert Koller
[n.d.l.r.: le papa de Patrick, joueur et maintenant entraîneur
de Fribourg Olympic] se sont rencontrés dans larmée
sportive, où ils jouaient au basket. Les Koller ont connu le
même parcours que mes parents. Nous étions souvent ensemble
et nos familles sont encore très unies.» Avec Patrick,
Harold propulsera Villars en LNB les deux adolescents navaient
que 16 et 17 ans et fêtera six de ses huit titres de champions
de Suisse. «Jai fait presque toute ma carrière avec
lui. Ou lui avec moi, cest selon.»
A lécole, le jeune Harold ne se considère pas comme
un élève brillant. Cest plutôt en dehors des
heures de classe quil se fait remarquer. Excellent joueur de football
un sport quil pratiquait encore régulièrement
à 14 ans et de tennis, le Fribourgeois est aussi adepte
dathlétisme et de
flûte traversière,
jusquà lâge de 16 ans.
Le
«king» de la récré?
«Aussi loin que je men rappelle, mes meilleurs souvenirs
denfance sont liés au sport.» Malgré les longues
années quil a passées sur les bancs décole,
jusquau stade dune demi-licence universitaire en économie.
Les aptitudes sportives du Fribourgois lui conféraient-elles
le statut de «king» de la récré? «Jai
toujours été le plus grand de la classe, celui qui courait
le plus vite. On peut dire que jétais assez populaire,
mais ça sarrête là. Cétait très
bon enfant à lépoque.»
Avec une équipe junior de football de Richemond, Harold Mrazek
a même fêté un titre de champion fribourgeois. Ses
coéquipiers dalors ne sont pas inconnus. «Dans la
plaquette commémorative du club, un paragraphe précise
que trois dentre nous ont percé dans le sport. Mais pas
dans le football. Sur la photo déquipe avec moi, se trouvent
Daniel Dubois, champion de Suisse dathlétisme, et Alain
Sansonnens, ancien gardien de Fribourg-Gottéron.»
A quoi rêvait lenfant de lépoque? «Contrairement
à beaucoup, je nai jamais voulu être pompier. Mais
prof de sports, comme mon père. Autrement, javais quelques
idoles. Le poster de léquipe dItalie championne du
monde de foot en 1982 est resté très longtemps au-dessus
de mon lit. Ensuite, il y a eu les magazines de basket. Michael Jordan
explosait et cétait la grande période
de Magic Johnson et de Larry Bird. Depuis lâge de 16 ou
17 ans, je nai plus daffiches dans ma chambre. Je ne suis
pas fan dans lâme.»
Sa
future femme à 16 ans
Une enfance dorée au sein dune famille unie: quel héritage
cela peut-il laisser au jeune homme de 30 ans quil est aujourdhui?
«Mes parents nous ont inculqué des principes comme lhygiène
de vie et le comportement. Du haut de ses deux mètres, mon père
était assez imposant pour nous driller en ce qui
concerne la politesse et la galanterie. Cela ma servi dans ma
carrière. Partout où je suis allé, jai toujours
été bien accueilli. A mes deux filles, Iliana (3 ans et
demi) et Eva (1 ans et demi) jessaie dinculquer la même
éducation. Sauf que je suis parfois trop gentil.»
De son adolescence calme, rythmée par les entraînements
quotidiens de basket et de foot, Harold ne garde que des bons souvenirs.
«Je ne suis jamais beaucoup sorti, tout simplement parce que je
navais pas le temps. Je nai aucun regret. Jai vu assez
de sportifs, moins calmes que moi, ne pas tenir sur le long terme.»
A 16 ans, il rencontre Chantal, la jeune fille qui deviendra sa femme
neuf ans plus tard.
Sil na commencé le basket quà lâge
de 10 ans, Harold sest tout de suite imposé comme un futur
grand. Un match, notamment, reste en tête chez ceux qui y ont
assisté. En demi-finale du championnat de Suisse des sélections,
Fribourg affrontait le canton de Vaud, favori au titre national. Mais
Harold Mrazek, alors âgé de 14 ou 15 ans, a réalisé
lun de ses premiers exploits. Moteur de léquipe,
il tient sa formation à flot, avant de se blesser à la
cheville. Ses coéquipiers coulent, il prend le risque de rejouer.
Fribourg recolle alors au score, mais Vaud mène toujours dun
point. Il ne reste que trois secondes au chronomètre. «Je
tire depuis le fond du terrain, un défenseur commet une faute.
Jai trois lancés francs, je rate le premier, mais réussis
les deux suivants. Cest un truc de fou, car ça naurait
jamais dû arriver!» Harold est, pour la première
fois de sa carrière, porté en triomphe. Le basketteur
croit-il à la prédestination? «Seulement si le destin
est aidé par une grande dose de travail», sourit-il.
Un
gage éternel
En 1989, la famille Mrazek au complet retourne pour la première
fois dans son pays dorigine, encore appelé la Tchécoslovaquie.
Lautomne dernier, le prix du mérite sportif fribourgeois
est décerné à Harold après son titre de
champion de France. Le basketteur professionnel étant retenu
avec Lyon-Villeurbanne, ses parents reçoivent le trophée
en son nom. Très émue, Madame Mrazek remercie lassemblée
pour ce gage éternel et définitif de la communauté
envers sa famille. Il y a vingt et un ans, Fribourg accueillait les
deux réfugiés politiques quétaient Célestin
et Ivana.