Ce Prix de la Fête du comédien 2002 vous est attribué
«pour lexemplarité de votre parcours théâtral»:
comment comprenez-vous cette expression?
Je ne sais pas
Peut-être que ça signifie quen
faisant des choix clairs, on peut pratiquer son métier en aboutissant
à un résultat heureux. Tous les choix que jai faits
se sont avérés payants. Jai refusé certaines
choses, jai pris parfois des positions fermes, mais ça
ne ma pas empêchée de jouer tout le temps et des
rôles magnifiques. Cest peut-être ça lexemplarité.
Je suis une des rares comédiennes de Suisse romande qui a pu
vivre uniquement de son métier, sans faire de lenseignement
à côté, par exemple.
Avec le recul, considérez-vous le fait dêtre à
Fribourg comme un inconvénient ou un avantage?
Jai toujours considéré que cétait
un avantage, parce que jai pu faire mon travail comme jen
avais envie, sans dépendre de personne. Si ce nest des
officiels qui tiennent les cordons de la bourse, mais cet aspect ne
nous a jamais empêchées de travailler. En étant
ici, avec Gisèle, nous nous sommes démarquées dune
façon de fonctionner du théâtre romand. Nous avons
fait notre boulot, point. Limportant cétait le public
et il est venu. Ça fait partie de ces choix: je nétais
pas intéressée par la carrière, par le fait dêtre
connue sur la planète entière. Lessentiel était
de pratiquer mon métier, avec les enjeux que jai pour le
théâtre. Et jai travaillé des rôles
magnifiques que je naurais peut-être pas pu jouer à
Lausanne ou à Genève.
Parmi ces rôles, y en a-t-il un qui vous a particulièrement
marquée?
Diotime et les lions, un monologue dune heure quarante-cinq
[n.d.l.r.: Véronique Mermoud la créé à
Givisiez en 1994]. Cest un texte absolument magnifique dHenri
Bauchau et il ma profondément marquée en tant que
femme. A la limite, je jouais autant Véronique que Diotime
Alors quen général, on joue son personnage. Là,
il y avait vraiment un mélange des deux. Ça me parlait
tellement
Le texte a touché en moi des choses que jattendais
à ce moment-là, pour mon avancement dans ma vie personnelle.
A linverse, est-ce quil y a des rôles que vous navez
pas interprétés et que vous rêveriez de jouer?
Non, parce que jai limmense prétention davoir
envie de tout jouer
Jai eu la chance davoir une palette
de rôles très large, grâce aussi au Théâtre
des Osses. Alors que dans ce métier, on est souvent catalogué.
Une femme comme moi, avec ma taille et ma voix, cest la tragédienne
et on nen sort plus. Alors que je pense être capable de
jouer des rôles romantiques ou drôles. Parfois, comme avec
Diotime et les lions, je tombe sur un texte qui me parle davantage,
où je me trouve en symbiose avec le personnage, avec le texte,
avec la femme que je suis. Mais jai envie de tout jouer, je nai
pas un rôle particulier qui mattire. Tous mattirent.
Depuis quelques années, vous faites aussi un important travail
auprès des écoles
Cest un peu mon cheval de bataille. Enfant et adolescente, quand
jallais voir des spectacles avec lécole, je mennuyais
à mourir
et je foutais un bordel épouvantable! Plus
tard, jai compris que cétait une question de préparation
si les jeunes navaient pas envie daller au théâtre.
Jai proposé aux directeurs des écoles, qui ont eu
une écoute extraordinaire, de préparer les élèves
au spectacle quils viendraient voir aux Osses. Je suis allée
leur parler de mon métier, de la pièce en question. Je
leur expliquais aussi quils avaient peut-être des fausses
idées sur le théâtre et quils avaient le droit
de ne pas aimer. Et nous navons jamais eu de chahut. Pour les
spectacles pour enfants, nous avons fait la même chose, avec laide
dIsabelle Daccord. Cest un travail magnifique que nous allons
essayer de poursuivre.
Comment sest produit le déclic, puisquà ladolescence
le théâtre ne vous intéressait pas?
Tout à fait par hasard. Enfant et adolescente, jétais
une emmerdeuse de première catégorie! Ma mère était
institutrice, mon père employé de banque et ils ont toujours
eu à cur que leurs cinq enfants aient un hobby culturel,
selon ce quils aimaient. Une de mes surs a fait du chant,
une autre de la sculpture et de la peinture, un frère du piano
Et moi je faisais limbécile dans les parcs avec les copains.
A 15 ans, ma mère ma dit: «Je sais que tu lis très
bien les poèmes, si tu prenais des cours de diction?» Jy
suis allée et je suis tombée sur Germaine Tournier. Ce
fut un flash immédiat: elle ma prise exactement comme jétais,
sans vouloir changer mon énergie ou mes colères. Et depuis,
je nai plus arrêté!
Ensuite, vous êtes allée à Paris
Quand jai passé le concours final au Conservatoire
populaire de Genève, Gérard Carrat, qui était dans
le jury, a dit à mes parents: «Il faut quelle continue,
mais dans une grande école.» Je me suis présentée
au Conservatoire dart dramatique de Paris, et comme il fallait
de largent, jai arrêté mes études six
mois avant la maturité, pour travailler. Jai aussi obtenu
une bourse de la ville de Genève. Jai été
acceptée comme élève à Paris et jy
suis restée cinq ans. Avec des copains du Conservatoire, nous
avons monté deux spectacles. Ensuite, jai essayé
de trouver du travail à Paris, mais les conditions ne me convenaient
pas du tout. En rentrant en Suisse, jai eu la chance de pouvoir
travailler immédiatement, très fort, très vite.
Jai enchaîné les rôles et jusquà
la rencontre avec Gisèle, jai énormément
travaillé. Et après, jai tout joué
Est-ce quau fil des années le métier ou le milieu
théâtral a beaucoup évolué?
Pas vraiment, hélas! Parce que si les problèmes restent
les mêmes quil y a trente ans, cest quun tournant
a été raté. Jai limpression que le
théâtre en Suisse romande est très menacé
par la pléthore de productions. Le potentiel et les talents existent,
mais on se dilue un peu. Comme il y a beaucoup de chômage, les
jeunes qui sortent de lécole montent leur propre spectacle.
Parfois avec des metteurs en scène qui sont plutôt des
acteurs et qui, parce quils nont pas de travail, font de
la mise en scène. Et ce nest pas forcément très
bon. Cest un problème complexe: il faut bien quils
travaillent ces jeunes comédiens! Mais le travail dun acteur
est délicat: sans un metteur en scène qui va chercher
jusquau bout ce que vous pouvez sortir, on ronronne. Je fais partie
du jury dun concours, à Bâle, et je trouve que le
niveau des jeunes est en baisse. Il me semble que les écoles
ne sont pas suffisamment restrictives et que quelque chose se perd dans
lexigence de la qualité.
Le
travail dune équipe
Née à Genève, installée
à Attalens depuis près de vingt ans, Véronique
Mermoud a joué sur toutes les grandes scènes romandes,
ainsi quen France, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Pologne
ou encore au Québec. Elle y a interprété les principaux
auteurs du répertoire: Sophocle, Molière, Racine, Corneille,
Shakespeare, Hugo, Tchekhov, Dürrenmatt, Henri Bauchau
Elle
compte aussi à son actif une dizaine de téléfilms.
Avec Gisèle Sallin, Véronique Mermoud a fondé en
1979 le Théâtre des Osses, installé à Givisiez
depuis 1990. Entre 1982 et 1985, elle travaille également sous
la direction de Benno Besson à la Comédie de Genève.
A cette époque, elle est la première femme reçue
comme «metteure en ondes théâtre» à
la Radio Suisse romande. De 1996 à juin 2001, Véronique
Mermoud a été directrice artistique du Théâtre
des Osses. Ce Prix de la Fête du comédien, elle le considère
dailleurs comme «une reconnaissance du travail réalisé
par toute léquipe des Osses». EB
Propos
recueillis par Eric Bulliard
/ 3
décembre 2002