Véronique Mermoud
L’art et le métier de jouer

Après André Steiger et Yvette Théraulaz, Véronique Mermoud est la troisième lauréate du Prix de la Fête du comédien, qui lui a été décerné hier soir à Genève. Résidant à Attalens depuis près de vingt ans, la cofondatrice (avec Gisèle Sallin) du Théâtre des Osses de Givisiez, figure parmi les comédiennes les plus réputées de Suisse romande. Retour sur une carrière exemplaire.


Véronique Mermoud: «A Fribourg, j’ai pu faire mon métier sans dépendre de personne» (C. Dutoit)

– Ce Prix de la Fête du comédien 2002 vous est attribué «pour l’exemplarité de votre parcours théâtral»: comment comprenez-vous cette expression?
Je ne sais pas… Peut-être que ça signifie qu’en faisant des choix clairs, on peut pratiquer son métier en aboutissant à un résultat heureux. Tous les choix que j’ai faits se sont avérés payants. J’ai refusé certaines choses, j’ai pris parfois des positions fermes, mais ça ne m’a pas empêchée de jouer tout le temps et des rôles magnifiques. C’est peut-être ça l’exemplarité. Je suis une des rares comédiennes de Suisse romande qui a pu vivre uniquement de son métier, sans faire de l’enseignement à côté, par exemple.

– Avec le recul, considérez-vous le fait d’être à Fribourg comme un inconvénient ou un avantage?
J’ai toujours considéré que c’était un avantage, parce que j’ai pu faire mon travail comme j’en avais envie, sans dépendre de personne. Si ce n’est des officiels qui tiennent les cordons de la bourse, mais cet aspect ne nous a jamais empêchées de travailler. En étant ici, avec Gisèle, nous nous sommes démarquées d’une façon de fonctionner du théâtre romand. Nous avons fait notre boulot, point. L’important c’était le public et il est venu. Ça fait partie de ces choix: je n’étais pas intéressée par la carrière, par le fait d’être connue sur la planète entière. L’essentiel était de pratiquer mon métier, avec les enjeux que j’ai pour le théâtre. Et j’ai travaillé des rôles magnifiques que je n’aurais peut-être pas pu jouer à Lausanne ou à Genève.

– Parmi ces rôles, y en a-t-il un qui vous a particulièrement marquée?
Diotime et les lions, un monologue d’une heure quarante-cinq [n.d.l.r.: Véronique Mermoud l’a créé à Givisiez en 1994]. C’est un texte absolument magnifique d’Henri Bauchau et il m’a profondément marquée en tant que femme. A la limite, je jouais autant Véronique que Diotime… Alors qu’en général, on joue son personnage. Là, il y avait vraiment un mélange des deux. Ça me parlait tellement… Le texte a touché en moi des choses que j’attendais à ce moment-là, pour mon avancement dans ma vie personnelle.

– A l’inverse, est-ce qu’il y a des rôles que vous n’avez pas interprétés et que vous rêveriez de jouer?
Non, parce que j’ai l’immense prétention d’avoir envie de tout jouer… J’ai eu la chance d’avoir une palette de rôles très large, grâce aussi au Théâtre des Osses. Alors que dans ce métier, on est souvent catalogué. Une femme comme moi, avec ma taille et ma voix, c’est la tragédienne et on n’en sort plus. Alors que je pense être capable de jouer des rôles romantiques ou drôles. Parfois, comme avec Diotime et les lions, je tombe sur un texte qui me parle davantage, où je me trouve en symbiose avec le personnage, avec le texte, avec la femme que je suis. Mais j’ai envie de tout jouer, je n’ai pas un rôle particulier qui m’attire. Tous m’attirent.

– Depuis quelques années, vous faites aussi un important travail auprès des écoles…
C’est un peu mon cheval de bataille. Enfant et adolescente, quand j’allais voir des spectacles avec l’école, je m’ennuyais à mourir… et je foutais un bordel épouvantable! Plus tard, j’ai compris que c’était une question de préparation si les jeunes n’avaient pas envie d’aller au théâtre. J’ai proposé aux directeurs des écoles, qui ont eu une écoute extraordinaire, de préparer les élèves au spectacle qu’ils viendraient voir aux Osses. Je suis allée leur parler de mon métier, de la pièce en question. Je leur expliquais aussi qu’ils avaient peut-être des fausses idées sur le théâtre et qu’ils avaient le droit de ne pas aimer. Et nous n’avons jamais eu de chahut. Pour les spectacles pour enfants, nous avons fait la même chose, avec l’aide d’Isabelle Daccord. C’est un travail magnifique que nous allons essayer de poursuivre.

– Comment s’est produit le déclic, puisqu’à l’adolescence le théâtre ne vous intéressait pas?
Tout à fait par hasard. Enfant et adolescente, j’étais… une emmerdeuse de première catégorie! Ma mère était institutrice, mon père employé de banque et ils ont toujours eu à cœur que leurs cinq enfants aient un hobby culturel, selon ce qu’ils aimaient. Une de mes sœurs a fait du chant, une autre de la sculpture et de la peinture, un frère du piano… Et moi je faisais l’imbécile dans les parcs avec les copains. A 15 ans, ma mère m’a dit: «Je sais que tu lis très bien les poèmes, si tu prenais des cours de diction?» J’y suis allée et je suis tombée sur Germaine Tournier. Ce fut un flash immédiat: elle m’a prise exactement comme j’étais, sans vouloir changer mon énergie ou mes colères. Et depuis, je n’ai plus arrêté!

– Ensuite, vous êtes allée à Paris…
Quand j’ai passé le concours final au Conservatoire populaire de Genève, Gérard Carrat, qui était dans le jury, a dit à mes parents: «Il faut qu’elle continue, mais dans une grande école.» Je me suis présentée au Conservatoire d’art dramatique de Paris, et comme il fallait de l’argent, j’ai arrêté mes études six mois avant la maturité, pour travailler. J’ai aussi obtenu une bourse de la ville de Genève. J’ai été acceptée comme élève à Paris et j’y suis restée cinq ans. Avec des copains du Conservatoire, nous avons monté deux spectacles. Ensuite, j’ai essayé de trouver du travail à Paris, mais les conditions ne me convenaient pas du tout. En rentrant en Suisse, j’ai eu la chance de pouvoir travailler immédiatement, très fort, très vite. J’ai enchaîné les rôles et jusqu’à la rencontre avec Gisèle, j’ai énormément travaillé. Et après, j’ai tout joué…

– Est-ce qu’au fil des années le métier ou le milieu théâtral a beaucoup évolué?
Pas vraiment, hélas! Parce que si les problèmes restent les mêmes qu’il y a trente ans, c’est qu’un tournant a été raté. J’ai l’impression que le théâtre en Suisse romande est très menacé par la pléthore de productions. Le potentiel et les talents existent, mais on se dilue un peu. Comme il y a beaucoup de chômage, les jeunes qui sortent de l’école montent leur propre spectacle. Parfois avec des metteurs en scène qui sont plutôt des acteurs et qui, parce qu’ils n’ont pas de travail, font de la mise en scène. Et ce n’est pas forcément très bon. C’est un problème complexe: il faut bien qu’ils travaillent ces jeunes comédiens! Mais le travail d’un acteur est délicat: sans un metteur en scène qui va chercher jusqu’au bout ce que vous pouvez sortir, on ronronne. Je fais partie du jury d’un concours, à Bâle, et je trouve que le niveau des jeunes est en baisse. Il me semble que les écoles ne sont pas suffisamment restrictives et que quelque chose se perd dans l’exigence de la qualité.

Le travail d’une équipe
Née à Genève, installée à Attalens depuis près de vingt ans, Véronique Mermoud a joué sur toutes les grandes scènes romandes, ainsi qu’en France, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Pologne ou encore au Québec. Elle y a interprété les principaux auteurs du répertoire: Sophocle, Molière, Racine, Corneille, Shakespeare, Hugo, Tchekhov, Dürrenmatt, Henri Bauchau… Elle compte aussi à son actif une dizaine de téléfilms.
Avec Gisèle Sallin, Véronique Mermoud a fondé en 1979 le Théâtre des Osses, installé à Givisiez depuis 1990. Entre 1982 et 1985, elle travaille également sous la direction de Benno Besson à la Comédie de Genève. A cette époque, elle est la première femme reçue comme «metteure en ondes théâtre» à la Radio Suisse romande. De 1996 à juin 2001, Véronique Mermoud a été directrice artistique du Théâtre des Osses. Ce Prix de la Fête du comédien, elle le considère d’ailleurs comme «une reconnaissance du travail réalisé par toute l’équipe des Osses». EB

Propos recueillis par Eric Bulliard / 3 décembre 2002