Jeunes Algériens à Vaulruz
Loin de la guerre, le paradis

Zohra Egger le souhaitait, les habitants de Vaulruz l’ont rendu possible. Dix-neuf jeunes Algériens, la plupart orphelins, ont passé une semaine en Gruyère. Une occasion, pour ces enfants démunis, de découvrir un monde différent, sans vivre dans la peur. Elle-même exilée en Suisse il y a près de 40 ans, la Gruérienne a voulu rendre la pareille, à sa manière.


JZohra Egger (derrière, au centre): «Je garderai comme souvenir la joie des enfants, si heureux d’avoir passé une semaine loin de la misère et de la peur» (C. Dutoit)

A l’âge de 11 ans, prise en charge par Terre des hommes et Edmond Kaiser, Zohra Egger passait six mois dans la vallée de Joux, hébergée par une demoiselle du Brassus. C’était en 1963, la guerre faisait rage dans son pays, l’Algérie. Trois ans plus tard, l’adolescente revenait en Suisse, «parce que les femmes peuvent y travailler et gagner leur vie». Aujourd’hui mariée et mère de quatre enfants, Zohra Egger voulait donner en retour un peu de ce qu’elle avait reçu. Le soutien des habitants de Vaulruz, son village, lui a permis de concrétiser son rêve. Au total, 19 garçons âgés de 14 ou 15 ans ont passé cette semaine en Gruyère, à visiter la région et à jouer au football.
«Ces enfants viennent de Chlef, une ville située à 200 km à l’ouest d’Alger, raconte-t-elle. Il y a une année et demie, à l’enterrement de mon frère [n.d.l.r.: victime des troubles politiques], j’ai rencontré Djamel Sadadou, son meilleur ami. Tous deux s’occupaient du club de football de la ville.»
Le projet prend forme, Djamel Sadadou s’occupant des démarches administratives, Zohra Egger de l’intendance sur place. Elle demande de l’aide à ses amis du FC Vaulruz: «J’ai contacté certaines familles pour savoir si elles pouvaient héberger un enfant. Tous m’ont répondu oui, la plupart en ont même accueilli deux. L’entraîneur du club, Bernard Chatelan, a pris une semaine de vacances pour donner un coup de main. D’autres sont venus faire la cuisine ou repasser du linge.» Un soutien inconditionnel qui émeut profondément l’ancienne émigrée: «Je suis tellement touchée par toute l’aide reçue. C’est incroyable. J’ai eu la chance de pouvoir vivre en Suisse. J’ai toujours voulu faire quelque chose pour les enfants algériens. Grâce aux habitants de Vaulruz, mon rêve s’est réalisé, presque sans que je m’en aperçoive.»

Echapper au quotidien
Gestes infimes ou dons importants, l’étendue de la mobilisation a souvent surpris Zohra Egger: «Nous avons reçu des dons de collègues médecins de mon mari, que je remercie au passage, et d’Algériens installés en Suisse. Lors d’un match à Bienne, certains d’entre eux m’ont accostée au bord du terrain et offert jusqu’à 400 francs pour les enfants! Cela ne se voit pas tous les jours. Nous avons aussi reçu des poulets, du lait et même un frigo rempli de viande!» Comment expliquer pareil enthousiasme? «Les gens m’ont tous dit qu’ils étaient heureux de donner une aide concrète, presque de main à main. Il suffisait de voir la joie des garçons. Ils étaient tellement reconnaissants, si heureux de recevoir, même des habits usés. Ils ont beaucoup à nous apprendre.»
Entre visites touristiques, pique-nique dans un chalet d’alpage et matches de foot, les enfants ont eu l’occasion d’échapper, l’espace d’une semaine, à leur triste quotidien: «La plupart sont orphelins et habitent encore dans des baraques préfabriquées, 80% de la ville de Chlef ayant été détruite après la guerre de 1980. Ce séjour en Gruyère leur permet de vivre une semaine sans la peur au ventre. L’autre jour, un des accompagnateurs m’a dit: “J’espère que les gens d’ici se rendent compte qu’ils habitent au paradis!”»

L’Algérie, pays magnifique
Plus encore, pour Zohra Egger, ce voyage devrait laisser des traces à long terme chez ces futurs adultes: «Les Algériens se sentent repoussés par les autres. Et les autres se sentent menacés par eux. Les enfants ont été marqués par l’accueil et la chaleur des Suisses. Ils n’ont pas connu de problèmes de religion ici. Même si la plupart ne parlent pas français, le contact s’est fait avec les jeunes du village.»
Aujourd’hui samedi, tout ce petit monde retourne en Algérie. Au moment des adieux, il restera, pour Zohra Egger, la joie dans les yeux des enfants: «Je suis tellement contente d’avoir pu leur offrir un peu de bonheur. Après quarante ans, je me sens suisse et je suis gruérienne de cœur. Mais je reste attachée affectivement à l’Algérie. Un pays magnifique, habité par des gens chaleureux, quoi qu’on en dise.»