Bovet mis en Disque

Le souffle du Jacquemart

Une vingtaine de chants de Joseph Bovet, parmi lesquels bon nombre de pièces méconnues comme la superbe «Mère du pâtre» ou l’humoristique «Gavotte des priseurs»: c’est le dernier enregistrement du Quatuor du Jacquemart. Une réussite.

Il y a plusieurs manières d’aborder un répertoire connu, plusieurs façons d’interpréter des chants élevés au rang d’une tradition presque sacrée. Il est possible de se glisser dans le moule, copier le style imposé par les générations précédentes et recréer une couleur musicale considérée comme modèle. Possible également de se distancer de cette norme et d’injecter un souffle nouveau, une vibration inédite à des pages figées dans le respect d’un style. C’est le choix du Quatuor du Jacquemart, qui vient d’enregistrer un disque de chants de l’abbé Bovet. Une petite merveille! On entre dans cet univers sonore par la porte du chalet des Rêbes, guidé par le «lutin fidèle». Un classique de ce répertoire pour chœur d’hommes. Ligne mélodique franchement affirmée, transparence harmonique, souci du texte, énergie et élan: le Quatuor du Jacquemart fait sonner cette musique d’une manière originale, comme une sorte de réinterprétation. Au pastel éthéré, il préfère les couleurs vives. Point de musicalité précieuse, mais une force qui se nourrit du mariage souvent réussi entre l’harmonie et le texte. Impression identique à l’écoute de La montagne , cette ballade onirique qui rassemble toute la douce mélancolie du barde de Sâles. Avec Ou vîlyo tin et Djan dè la bolyèta, le quatuor ressuscitent les rythmes de la langue paysanne qui pétillent comme l’eau d’une cascade. Les chanteurs du Jaquemart parviennent à trouver à chaque fois la teinte adéquate, à dessiner un climat. Ecoutez La mère du pâtre, œuvre méconnue, sorte de pièce jumelle de la Prière du même nom. L’interprétation est admirable de nuances et de sensibilité, le texte – malheureusement pas à la hauteur de la musique – est éclairé par une lumière subtile. C’est encore cette résonance intérieure qui serpente dans Le secret du ruisseau, un chant sur lequel flotte l’esprit des romantiques allemands. L’intérêt de cet enregistrement tient aussi au caractère novateur du programme. Le Jacquemart ne s’est pas contenté de puiser dans le coffre du patrimoine, il est allé à la pêche aux inédits. Et il est tombé sur quelques perles. Comme cette Valse des feuilles, tirée du festival Mon Pays, pièce d’une écriture plus développée, d’une harmonie recherchée, qui apporte la preuve que Joseph Bovet savait aussi écrire une musique plus savante. C’est le cas également de La gavotte des priseurs, d’un contrepoint élaboré et d’un humour qui rappelle La marche des petits oignons. Cette gavotte d’un style burlesque, que n’auraient pas renié les Frères Jacques, joue sur les mots et les sons dans un véritable feu d’artifice vocal. Enregistré durant le printemps en l’église de La Roche, ce disque est interprété par Bertrand Bochud, premier ténor, Marc Augustoni, deuxième ténor, Roland Demiéville, baryton, et Dominique Gesseney-Rappo, basse. Les quatre méritent des éloges pour la qualité de leur chant. On nous permettra en outre de souligner les belles qualités vocales du premier ténor qui, incontestablement, offre à cet enregistrement un supplément d’âme.

Le Quatuor du Jaquemart commémore le 50e anniversaire de la mort de l’abbé Bovet. Artlab 00963

Patrice Borcard / 23 décembre 2000