Commentaire Il y a une dizaine dannées, lécrivain italien Umberto Eco consacra un article à la manière de reconnaître un film pornographique. Avec son sens de lhumour habituel, il concluait: «Entrez dans une salle de ciné: si pour aller de A à B, les protagonistes mettent plus de temps que vous ne le souhaiteriez, alors cest un film porno.» Plus de cent ans auparavant, Victor Hugo écrivait dans sa correspondance: «La censure est mon ennemie littéraire. La censure est mon ennemie politique. La censure est de droit improbe, malhonnête et déloyale. Jaccuse la censure.» Bien sûr, Victor Hugo na pas écrit ces mots dans le contexte du débat suscité par le film «Baise-moi», actuellement sur les écrans romands (interdit aux moins de 18 ans) mais classé X en France par décision du Conseil dEtat. Mais peut-être laurait-il fait. «Baise-moi», le film de Virginie Despentes, a été «analysé» sévèrement dans nombre de journaux et dans ces colonnes («La Gruyère» du mardi 27 août) en particulier, où il a été qualifié de «répugnant», «condamnable», «dangereux pour la démocratie» et par conséquent «à boycotter durgence». A censurer en somme. Anathème jeté sans quon se préoccupe dailleurs toujours daller voir le film en question. On ferait bien, pourtant. On constaterait dabord que «Baise-moi» est un vrai projet artistique, doté dun vrai message la vacuité de lêtre, la révolte absolue ce qui rend incompréhensible son classement X en France. On sait depuis les expériences dOshima («Lempire des sens»), de Pasolini ou récemment de Lars von Trier («Les idiots») que le filmage de relations sexuelles non simulées, aussi peu esthétique soit-il, peut-être un élément légitime du langage cinématographique propre à illustrer lidée générale dun film. Cest le cas dans «Baise-moi». Car ce qui est intéressant nest pas le point A ou le point B des ébats-abats des deux protagonistes, mais le chemin qui les relie. Cette fuite funèbre, sanglante et sans issue, leur désir de négation absolue dun monde qui les a violées ou contraintes à se prostituer. Leur frénésie de meurtres est lexpression de leur abandon au vide de lesprit: plutôt la vacuité mortifère que la résignation, en somme. Et le filmage froid et sans vie, qui semble abandonner les deux filles à leur nuit, corrobore cette idée de vide. En cela, «Baise-moi» est un film intéressant qui ne saurait être victime de boycottage ou de censure, «cette chienne au front bas» dénoncée par Hugo. Inutile, cependant, de nier que «Baise-moi» est un film dune grande violence et quil en choquerait plus dun. Mais cest une insulte à lintelligence que de décréter quil fait «lapologie du meurtre et de la violence gratuite», a fortiori quil est «dangereux pour la démocratie». Ou alors, mettons dans le même sac «Orange mécanique» et son effroyable plan final, les uvres de Sade ou les «Chants de Maldoror» de Lautréamont. Lautréamont qui écrivait: «Moi, je fais servir mon génie à dépeindre les délices de la cruauté.» Ce nest peut-être pas dune grande moralité, mais cest un projet artistique valable et reconnu qui ne souffre ni censure ni boycottage. |