Château de Gruyères

Raoul Blanchard conservateur

Au lieu de se gausser des touristes japonais, si on se demandait comment raconter la vie au château de manière sûre et plaisante, avec des moyens modernes, à des visiteurs qui n’ont pas forcément un bagage historique? Entretien avec Raoul Blanchard, qui sera conservateur du château de Gruyères dès le 1er janvier 2001.


Priorité de Raoul Blanchard,
le nouveau conservateur du château de Gruyères:
soigner le contact avec les visiteurs
(J.-R. Seydoux)

Le successeur d’Etienne Chatton est connu. Il s’agit de Raoul Blanchard, de Villars-sur-Glâne. Il a été choisi par la Fondation du château de Gruyères parmi plus de trente candidats. Le nouveau conservateur du château de Gruyères est né voilà quarante-deux ans à Fribourg, où il a fait ses études. Son cursus professionnel passe par toutes les activités et tous les lieux où fait normalement carrière un historien de l’art. Raoul Blanchard s’est exercé à la recherche universitaire; il fut le dernier assistant du légendaire «Kunstbubi», le professeur Alfred A. Schmid. Il a pratiqué la gestion du patrimoine auprès d’Hermann Schoepfer, en ordonnant, par exemple, l’énorme fonds Reiners. Il a connu durant presque dix ans le travail multiforme d’un conservateur de musée; attaché au Musée cantonal d’art et d’histoire (MAHF), il anime aussi depuis 1992 le Musée singinois de Tavel. En somme, le profil parfait pour prendre en main le plus prestigieux monument fribourgeois. «The right man at the right place?» Pas besoin de le dire en anglais, puisque Blanchard est également à l’aise dans les deux langues du canton.

Un potentiel énorme
Curieusement, ce passe murailles linguistique est un spécialiste des grilles et clôtures – pourvu qu’elles soient en fer forgé. C’est la ferronnerie d’art, en effet, qui lui a fourni son premier thème de recherche et la matière d’un monumental mémoire. «Mais voyez, avoue-t-il en s’amusant, on n’est jamais trop méthodique: la grille du narthex de l’église de Gruyères m’a complètement échappé. Une œuvre superbe, pourtant, qui plus est datée et signée!» Il aura tout loisir de la revoir, désormais. Travailler au château de Gruyères, pour Raoul Blanchard, «c’est quasiment réaliser un rêve d’enfant. Un site pareil, cela relève de l’enchantement…» Il y a sans doute aussi quelque chose de fabuleux, pour le responsable d’un musée, dans le fait d’avoir un colossal réservoir de public, renouvelé constamment, et qui arrive par vagues entières (150000 visiteurs par an, le dixième des touristes qui se pointent sur la colline). Mais «l’exploitation» du château doit être à la hauteur du potentiel énorme qu’il possède. Le bâtiment lui-même est un chantier perpétuel (La Gruyère des 25, 27 et 29 avril), et le calendrier des travaux entrepris sur l’enveloppe déterminera probablement dans une large mesure l’échéancier du nouveau conservateur. Quoi que celui-ci programme, cependant, une chose est claire: tous les musées régionaux sont trop petits pour jouer seuls.

Un réseau cantonal
Mais comment réaliser un système «muséal» cantonal? Une impulsion avait été donnée, voilà un quart de siècle, dans un contexte prometteur: agrandissement du Musée d’art et d’histoire, inauguration du Musée singinois, émergence du projet de Romont pour le vitrail… Une convention avait même été élaborée, dans l’intention principalement de régler le soutien du MAHF – sur le plan scientifique, technique, logistique – au montage de projets par les «petites» institutions; du coup, l’Etat «subventionneur» aurait gagné une meilleure vue sur l’ensemble du secteur. Essai non transformé. Raoul Blanchard: «Je n’ai jamais vu le texte de cette convention de 1976, je crois qu’elle n’a même pas été signée, et de tout ce brain storming il n’est sorti qu’un dépliant de présentation des divers musées.» A reprendre? Il faut réévaluer la situation. Les enjeux se sont modifiés. Sur le plan tarifaire, par exemple, une entente régionale ne présenterait plus guère d’intérêt depuis l’introduction d’un passeport pour l’ensemble des musées suisses. Sur le plan de la politique culturelle, il faut tenir compte d’une situation des plus chevelues: chaque musée présente un ancrage ou un montage institutionnel différent, même si les collectivités publiques – en proportions variables – sont partie prenante partout. Les domaines où la coopération des musées devient urgente sont la technique et le marketing (publicité et relations publiques, surtout hors du canton): «Les musées ont quelque chose à dire sur eux-mêmes, affirme Raoul Blanchard, ils ne peuvent se reposer entièrement sur les offices du tourisme.» Un pas de plus, et le nouveau conservateur de Gruyères avance qu’on pourrait aussi coordonner plus systématiquement les acquisitions, «comme cela se passe déjà entre le MAHF et le Musée gruérien, par exemple». Mais il n’entend pas se crisper sur la forme juridique de la coopération qu’il souhaite. Convention ou pas, dit-il, «ce qui est indispensable, c’est un contact régulier entre les conservateurs et les responsables de tous les musées, surtout lorsqu’un projet ambitieux se profile quelque part. Je connais le milieu, je sais qu’il est difficile d’arriver à une entente avec l’ensemble des intéressés. Il n’est pas évident, par exemple, d’avoir l’accord de tous pour l’acquisition d’un matériel qui servirait inégalement à chacun. Mais je suis persuadé qu’il faut maintenant empoigner ce genre de problèmes.»

 

quelques mois de prendre sa nouvelle fonction, Raoul Blanchard se projette déjà dans l’avenir...

– Comment envisagez-vous votre action? Il ne faut pas tout bouleverser en arrivant, mais faire sentir la volonté de changement. La première chose à soigner, c’est le contact du visiteur avec le château, le secteur de l’accueil. Actuellement, il ne mérite pas ce nom. Il faut aménager un espace d’accueil engageant, mettre en place une information claire, et revoir le stock des produits en vente.

– Et à l’intérieur? On devrait aller, progressivement, vers une présentation du château et de la vie au château qui soit plus pédagogique. Faire sentir plus nettement la chronologie dans le parcours et dans la collection exposée, concevoir une présentation à plusieurs niveaux. Au lieu de plaisanter sur les touristes japonais, demandons-nous ce qui peut intéresser les visiteurs en fonction de ce qu’ils sont, et comment on peut rendre cela parlant pour eux. Ne faisons pas comme s’ils étaient tous censés pouvoir mettre chaque objet dans son juste contexte historique ou culturel. Pourquoi ne pas en parler aussi avec des instituteurs, des enseignants?

– Un château plus accessible à tous, en somme? Disons: un parcours basé sur un concept clair et perceptible par chacun, pas seulement profitable aux happy few qui goûtent les rencontres insolites et meublent par eux-mêmes les blancs de la documentation.

– Matériellement, qu’est-ce que cela suppose? Revoir le contenu et peut-être aussi les supports de l’information qui est donnée au visiteur. On ne peut pas le lâcher dans cette profusion de richesses en comptant sur la magie du lieu pour répondre à ses questions ou les lui faire oublier. Quant aux moyens techniques, il faudra réfléchir. Un support audio? Un auxiliaire vidéo? On verra, c’est aussi une question de moyens. Pourquoi ne pas rêver, à terme, d’un CD-Rom qui prolongerait la visite en permettant de jouer? Dans l’immédiat, il faut reconstituer un stock de matériel photographique à usage publicitaire: les dépliants, les affiches, ce genre de documents.

– Tout cela, c’est très «grand public»… Quand le public est là, il faut le recevoir, le mieux possible. Il faut aussi penser à son renouvellement. Cela n’interdit pas de mener, de façon plus discrète, un travail de recherche avec les spécialistes. Le monument Gruyères mérite une publication savante, mais c’est un ouvrage de longue haleine.

Jean Steinauer / 6 juillet 2000

I Les titres I Editorial I Sports